Avant propos
Bienvenue dans l’univers de Settak !
J’ai le plaisir de vous proposer cette nouvelle, sans prétention, qui vous amènera en compagnie d’Ikys, une jeune souris voleuse, à la découverte de ce riche univers médiéval fantastique.
Ce récit est illustré par de jeunes illustrateurs lors d’un stage de seconde et par mes soins.
Cette nouvelle s’adresse aux personnes de plus de douze ans car il contient quelques scènes de violence, de consommation d’alcool et de tabac.
Bonne lecture !
Préambule – Automne Mille cent seize – Péninsule de la Flèche d’argent
Sur ces collines escarpées qui plongeaient dans la mer des Bastionnes la neige recouvrait tout.
Une femme souris au pelage blanc progressait aux côtés de la silhouette d’une grande créature taurine – un Korb – vêtu d’un manteau de moine violet. La souris Mismice tenait les rênes d’une imposante bête de selle à l’épaisse fourrure blanche qui portait leurs bagages.
Le franc soleil rendait le blanc de la neige éblouissant.
Arrivés au sommet d’une petite crête ils nouèrent les rênes de l’animal à un grand sapin noir. Aussitôt un corbeau au bec disproportionné se posa sur une branche au-dessus d’eux ; il se mit à croasser vigoureusement comme s’il entamait une conversation très importante. Le Moine korb leva la tête et, pour la première fois depuis longtemps, ouvrit les yeux. Des yeux sans pupilles, complètement blancs. Il répondit à l’oiseau dans une langue étrange, et ce dernier, après s’être tu, s’envola.
Le moine Korb Antonin
Ils détachèrent des sacoches des flancs de la bête de somme et longèrent une ligne de crète qui les conduisit à un petit promontoire. Là, ils commencèrent en silence à installer leur matériel.
En contrebas, une étrange créature se frayait un passage dans la neige. D’environ un mètre de long et de forme ovale, l’indésirable faisait penser à une grosse punaise blanche. La Souris gardait un œil attentif sur cette bête, elle n’en avait jamais vu de telle et se demandait quelles pouvaient être ses intentions.
Alors que la Punaise s’éloignait en direction de la forêt, une autre bête, juchée dans les branchages au-dessus d’elle, se laissa tomber, et lui planta immédiatement ses crocs dans le dos. La Punaise poussa un cri aigu qui résonna dans les reliefs avoisinants. Le Monstre, couvert de poils gris, saisit sa proie et s’enfonça dans la forêt.
La Souris était stupéfaite par ce qu’elle venait de voir, elle aurait voulu appeler son maître mais elle resta sans voix. De son côté le Moine ne se détournait pas une seconde de sa tâche. Malgré sa cécité il finissait d’assembler avec une grande célérité un télescope à énergie lunaire monté sur trépied.
Il s’arrêta, et sembla satisfait.
“Opéra, j’ai besoin de tes yeux”
La Souris mismice acquiesça. Dans une manœuvre entendue, elle grimpa sur une petite caisse et commença à utiliser l’instrument d’optique.
“Assure-toi que les filtres occultants sont bien en place et quand ce sera fait, pointe le télescope vers le soleil.”
Elle s’exécuta.
“C’est fait Maître Antonin, que suis-je censée voir ?”
– Une grande sphère rougeâtre.
– Oui je la vois. C’est le soleil, n’est-ce pas ?
– Oui. Vois-tu autre chose ?
– Non.
– Alors attends un peu.”
Le corbeau revint se poser auprès d’eux.
La Mismice s’agita.
“ Maître, il y a une deuxième sphère, plus petite, qui commence à passer devant.
– De quelle couleur est-elle ?
– Noire.
– Tu es sûre ? Elle est complètement noire ?
– Attendez, non. Elle est rouge en son centre.”
Le Moine poussa un profond soupir.
Le corbeau crailla.
Cette fois le Korb ne lui répondit pas.
“Nous devons repartir, au plus vite.”
Ikys – Été Mille cent dix sept – Jour zéro – Guar – fin de journée
Ikys a faim.
Voilà plusieurs jours qu’elle erre dans les rues du bourg marchand agglutiné à l’Assemblée septem. Ici tout se vend, nourriture, colifichets et croyances divines. C’est au plus offrant et au plus obséquieux. Pour survivre elle s’est résignée à quelques vols mesquins de fruits et morceaux de pain, mais elle a gardé sa fierté, elle a réussi à ne pas succomber aux offres miséricordieuses et calculées des nombreux prédicateurs de la ville. Karfieh est une région mystique et son cœur, l’Assemblée septem, concentre toutes les dévotions.

Ikys vue par Marina
La petite Souris brune, enfin plutôt la grande Souris, car selon les critères Mismice un mètre quarante est une taille plus que respectable – cela est dû à sa grand-mère, une humaine, enfin c’est ce qu’on lui a dit, car elle ne l’a jamais connue – est venue ici afin de rencontrer un membre de la Guilde des voleurs. Mais son mètre quarante n’aura pas suffi à convaincre l’Homme ours, un soi-disant maître voleur.
L’échange fut glacial.
“Pas au niveau” voilà en substance ce que le regard dédaigneux de cette affreux Grache voulait dire.
“Tant pis pour eux !” Pensa-t-elle.
La jeune femme souris était prête à partir de cette ville qui ne la méritait pas quand elle apprit qu’une grande réunion de l’Assemblée septem devait se tenir. Les événements pouvant justifier cette réunion ne manquaient pas : apparition d’un deuxième soleil lors de l’hiver profond, chutes de météores inhabituels et, enfin et surtout, des raids de Causteurs, ce peuple venu des océans qui terrorisaient les populations de l’Île continent de Settak.
Les grands seigneurs et les représentants des sept contrées seraient là, autant dire de nombreuses occasions de se remplir les poches avant de quitter cette maudite bourgade.
La nuit tomba, les torches et lanternes de la ville commencèrent à s’illuminer. Le soleil et son nouvel ami disparaissaient derrière le faîtage des maisons les plus basses du quartier ouest.
Elle remonta l’artère principale, boueuse et sale, bordée par de grands bâtiments qui chacun proclamait la grandeur d’un dieu.
Deux prêtresses sohnsinas s’avancèrent vers elle. Une coiffe dorée savamment élaborée retombait sur leur visage et masquait leur regard, leur peau bleue se confondait avec leur toge de la même couleur.
Les bacchantes de Nimquéa tendirent leurs bras vers Ikys : “Ma fille, dans quel état es-tu ?! Viens avec nous ! Nous te laverons et te donnerons à manger !” Elle feignit de ne pas comprendre et marmonna dans sa langue : “ Eyk i nee jo doagter ” – Je ne suis pas votre fille -, elle se dégagea et continua sa route.
La rue la conduisit là où elle voulait : les écuries de l’Assemblée, et à la vue de l’agitation qui y régnait, aucun doute, les invités étaient bien là. De nombreuses montures étaient guidées par des palefreniers. Le va et vient était incessant. Grues échassiers et Rusneks aux défenses menaçantes cherchaient leur place dans des étables manifestement trop petites pour eux, de vastes chapiteaux avaient été montés à proximité. Le ciel était habité par l’étrange ballet de créatures volantes, Euléans et Krakvas.
Entre chien et loup, les torches qui peinaient à s’allumer, et une agitation collective accentuée par l’énervement et la fatigue due à de longs trajets, le moment fut parfait pour tenter sa chance. Elle réajusta sa capuche et se faufila entre deux grosses tortues du désert porteuses de larges sacs en toile de jute.
Du coin de l’œil elle aperçut un Korb rhino de la Garde pourpre qui l’observait. Elle accéléra le pas, se recroquevilla, plongea à gauche dans une entrée sombre, se retrouva dans une étable qui n’était pas gardée avec plusieurs animaux qui broutaient paisiblement, courut, se glissa sous une barrière de bois et se retrouva face à un imposant mur en pierre de l’Assemblée. Elle remonta la manche de son bras gauche et déploya son petit grappin à filin. En quelques minutes elle grimpa de trois niveaux et se retrouva sur le rebord d’une fenêtre.
Elle regarda en contrebas, pas de trace du garde, peut-être ne l’avait-il pas suivie.
Collée à la paroi elle glissa latéralement pour s’éloigner de son point de départ.
Le bruit d’un pas lourd lui fit frissonner l’échine ; il était là, cinq mètres juste en dessous d’elle, accroupi à la recherche de traces. Dans une de ses poches intérieures elle saisit quelques petits cailloux qu’elle projeta en sens opposé, ce qui suffit à faire se retourner le garde un instant, puis elle se faufila dans l’embrasure d’une toute petite fenêtre.
Il y avait là un escalier en colimaçon. Elle huma l’air du bout de sa truffe blanche, il était plus frais en haut, un brouhaha de discussions et de gens qui se déplaçaient lui parvint du bas. D’un pas feutré elle remonta l’escalier, s’engagea dans une petite coursive bordée d’ouvertures sous forme d’arcades.
Des voix proches.
En face d’elle des ombres s’avançaient. N’écoutant que son instinct elle grimpa sur une arcade et bondit à l’aveugle, d’un saut hasardeux elle atterrit sur la tête d’une immense statue.
Les gardes traversèrent la coursive sans l’avoir vue.
Elle réalisa alors où elle se trouvait : au sommet de la statue du moine Janin, héros de l’Île continent.
Elle dominait une grande salle intérieure.
Par chance la sculpture était très grande et le puissant éclairage des grands brasiers disposés au pied du mur la maintenait dans l’ombre. C’était une très grande et prestigieuse salle de réunion, sept statues dessinaient le pourtour de la pièce. Au centre, une grande table heptagonale était occupée par sept groupes de personnes, et Ikys, même si elle n’était pas au fait de la vie politique de Settak, comprit vite qu’elle se trouvait au cœur d’une réunion de l’Assemblée septem.
Les sept groupes à table devaient correspondre aux sept contrées. Elle reconnut aisément Karfieh et ses prophètes mystiques, les délégués d’Istia aussi était facilement reconnaissables avec ses chefs claniques casqués d’os et de métal. Les personnages masqués par des voiles rouges devaient venir d’Oustrosaurie. Pour le reste elle était moins sûre : un groupe était vêtu avec beaucoup de raffinement dans des teintes de bleu, à leur droite un autre ensemble de représentants rivalisait de raffinement avec le groupe précédent, ceux-ci préférant visiblement le blanc. Un autre était composé de Nains et de Grailles, enfin le dernier coin de table était occupé non pas par un groupe, mais à y regarder plus attentivement, par deux groupes qui se tenaient soigneusement à distance malgré l’étroitesse du coin de table qui leur était assigné.
Les sens de la petite souris étaient exacerbées, elle tressaillait d’excitation, ses moustaches vibraient, non pas à cause de sa situation dangereuse mais par la quantité de richesses qu’elle pouvait voir dans cette pièce. Tous ces seigneurs étaient richement habillés, armes de prestige et bourses bien remplies à la ceinture, sans parler de leurs bijoux. Elle ne put s’empêcher de laisser échapper un hoquet d’exultation lorsqu’elle vit, posée au centre de la table la fameuse couronne des sept crocs, la Crocante. Dans sa jeune adolescence la nouvelle du vol de cette couronne fit grand bruit, ce fut peut-être un tournant dans son choix de “carrière” car l’idée qu’un tel joyaux puisse être volé par un parfait inconnu et emporté loin de l’Île continent excita son imaginaire. Mais elle était bien là, de retour à Settak, légitimant la réunion des sept territoires, chaque représentant de territoire ayant fiché son croc dans la couronne.
Emportée par son excitation et par la facilité à laquelle elle avait pu atteindre un lieu aussi prestigieux, son cerveau commença à échafauder des plans pour voler la couronne, mais elle finit par se raviser en observant les nombreux hommes d’armes présents à l’arrière de chaque délégation. Gardes pourpres, militaires des contrées, serviteurs de l’assemblée et quelques autres personnages qu’elle ne sut identifier mais qui de toute évidence ne semblaient pas être du même acabit que les stupides marchands de rue qu’elle avait l’habitude de berner.
Elle se calma.
Son instinct de survie reprit le dessus sur sa convoitise.
Elle ne pouvait pas repartir, elle n’aurait pas autant de chance deux fois de suite et le moindre faux mouvement la ferait repérer. Le mieux pour elle était d’attendre et d’observer, cette réunion finirait bien par se terminer.
Attendre, et observer.
Si elle se souvenait bien des discussions interminables que pouvait engendrer les fêtes de son village, avec sa fratrie, ses cousins éloignés, et tous les plus grands bavards qu’elle avait pu connaître, elle était loin de s’imaginer que des gens puissent parler autant et de façon aussi ennuyeuse. La plupart des propos lui étaient abscons, ils évoquaient lieux, événements et personnages dont elle n’avait jamais entendu parler. Par moment, ils utilisaient même des langues qu’elle ne comprenait pas du tout, elles étaient surtout employées en introduction des discours les plus rébarbatifs ou par des individus qu’elle identifia comme étant les serviteurs de l’Assemblée.
La première chose qui retint son attention fut la chute magnifique que fit un représentant des Baronnies d’Ysens – c’est ainsi qu’il se présenta – qui, voulant appuyer sa prise de parole monta sur une chaise, verre de vin à la main, et ne manqua pas de s’affaler lamentablement sur le sol, provoquant les rires nerveux et moqueurs de son audience.
Hormis cet événement, il se dégageait un seul consensus de tous ces échanges verbaux : l’heure était grave. Ce qui inquiétait le plus tous ces fiers dirigeants étaient les raids des Causteurs qui surgissaient des océans et ravageaient des territoires entiers sans que l’on ne comprenne exactement quels étaient leurs buts, et encore moins la façon de correctement les combattre. A ce sujet elle comprit une chose, personne n’était d’accord et tous se renvoyaient la responsabilité de leurs défenses défaillantes.
On récolte peu de trésor à la guerre, sauf à être un seigneur ou un charognard.
Un autre sujet qui préoccupait l’Assemblée était la chute de météorites sur le continent.
Des savants de l’université de Mir intervinrent. Mir était un nom qu’elle avait déjà entendu mais elle n’aurait pas su en dire plus. Ces savants présentèrent un objet de forme cubique et métallique, partiellement détruit. Ils parlèrent de Boîte Andrope et de la nécessité de s’en procurer afin d’assurer la défense de Settak. Là aussi elle n’aurait su dire qu’elle était le réel enjeu de ces discussions, ni même si une décision fut prise. La présentation des savants de Mir suscita avant tout des messes basses et des chuchotements au sein des délégations.
Enfin, la dernière chose qu’elle retint fut l’intervention d’un moine du Sanctuaire des comètes. Ceux-là elle les connaissait de réputation, des moines mystiques parcourant le monde à la recherche de savoirs ésotériques. A une époque pas si lointaine elle avait envisagé de s’y rendre pour visiter ce fameux Sanctuaire, mais à vrai dire les moines et leur savoir obscur lui faisaient peur. Ils savaient prédire le futur, enfin c’est ce qu’on disait.
Pour terminer ils dissertèrent longuement à propos de l’apparition du deuxième soleil et tout ce qu’elle retint fut que tout cela n’était pas de bon augure.
Après de dernières rasades d’alcool et une série de remarques acerbes échangées entre la délégation d’Istia et celle d’Oustrosaurie les représentants décidèrent, comme ils l’annoncèrent, de “lever la séance”.
L’aube pointait par les ouvertures de la salle et Ikys somnolait à cheval sur le col de la statue du moine Janin.
Il était temps.
Chaque croc enfiché dans la couronne fut soigneusement détaché par un serviteur de l’Assemblée Septem et remit au représentant de chaque délégation. Alors qu’elle observait ce cérémoniel elle réalisa que la tête de la statue sur laquelle elle s’appuyait portait elle aussi une couronne, de pierre certes, mais en s’inclinant légèrement vers l’avant elle découvrit que celle-ci était ornée d’un petit joyau, une émeraude.
Quelle idiote ! Cette pierre l’attendait depuis des heures juste sous le bout de son museau.
Elle attendit que la pièce se vide et équipée de son couteau elle détacha avec beaucoup de précaution ce qui pour elle était un petit trésor.
Ikys – Premier jour – Ban – matinée
Ikys sentit que le moment était venu. Elle se laissa glisser le long de l’immense statue de pierre et fureta discrètement dans la grande salle de réunion.
A son grand désarroi, la couronne n’était pas dans le coffre du fond de la salle où elle espérait naïvement la trouver, elle aurait dû être plus attentive, la couronne avait été emportée par les serviteurs.
Une angoisse l’étreignit, le moment n’était pas si propice que cela, le jour s’était levé et la vie reprenait son cours au sein de l’Assemblée. Serviteurs, gardes et autres invités recommençaient à s’activer.
Il ne fallait pas qu’elle tarde ou elle serait découverte. Elle se glissa par une petite porte de service, des odeurs de cuisine matinale lui parvinrent.
Un petit couloir, plusieurs portes.
Des pas qui s’approchaient, puis s’éloignaient.
Un éclat de voix grave qui la fit tressaillir.
Elle hésita.
Il ne faut pas hésiter quand on est un voleur.
Les voleurs qui hésitent finissent pendus à un gibet.
Elle chassa cette idée de son esprit.
Elle ouvrit une solide porte dotée d’une forte poignée en fer et s’engouffra. Elle eut du flair, c’était une réserve de nourriture. Elle referma la porte et prit son temps à renifler les différents sacs et jarres de terre cuite.
Il y a là de quoi se faire un bon petit déjeuner !
Elle avala goulûment ce qu’elle put, miel de Prûles et viandes séchées de Brétignes, et prit quelques réserves dans ses poches.
On ne mange pas la même chose à l’intérieur de l’Assemblée que dans les faubourgs.
Il y eut à nouveau du bruit, clair et distinct celui-là. Quelqu’un s’approchait. Elle se cacha dans un recoin derrière une étagère. Un Mismice de service entra bruyamment dans la petite réserve avec une torche à la main, prit d’un geste routinier et vigoureux un sac sur son épaule et un tonnelet sous le bras, puis repartit au petit trot en laissant la porte entrebâillée.
Il va revenir.
Elle ne pouvait pas rester plus longtemps ici. Par-delà les odeurs enivrantes de nourriture qui lui titillaient les narines lui parvenait une odeur sous-jacente plus désagréable, ainsi qu’un léger bruit d’eau qui court.
Au sol, en partie recouverte par un tonneau de vin, elle devina une grille d’évacuation des eaux. Le conduit n’était pas très grand mais elle pourrait aisément s’y introduire. Elle poussa le tonneau avec difficulté, souleva la grille qui n’était pas scellée et s’engagea dans le boyau.
Elle se trouvait dans les conduites d’eaux grises labyrinthique de l’immense complexe de l’Assemblée. L’odeur était supportable, elle avait connu pire dans les grottes souterraines de Lugdulupug, et la présence de ses lointains cousins les rats était plutôt là pour la rassurer, c’était plutôt l’obscurité qui lui posait problème.
Elle avait beau avoir un éclat de pierre de lune qui diffusait une pâle lueur elle n’y voyait pas au-delà de quelques mètres. Après plusieurs dizaines de minutes à errer dans ces conduits, elle aperçut une lueur et entendit des voix :
Une première voix nasillarde : “A gauche ! La gauche de gauche, ouvre tes esgourdins !”
Puis une seconde voix plus grave : “Je suis pourtant persuadé qu’on est déjà passé là. Ah regarde ! Tu vois cette tête gravée ? On dirait un de tes cousins, on est sur le bon chemin.”
Ils s’éloignèrent d’elle.
Cela avait titillé sa curiosité, et elle avait besoin de trouver une sortie. Elle se mit à les suivre.
Elle cacha sa pierre lumineuse qui aurait pu la faire repérer, et après avoir franchi quelques embranchements, tapie dans la pénombre, elle put les voir : ils faisaient face à un mur.
Ils étaient deux : le premier était un Cyb – un Homme chien – au grand corps noueux et sec. Il portait une armure de cuir et une épée courte à la ceinture et, à en juger par les poils blancs qui parcouraient sa fourrure, il n’était pas tout jeune.

Phoros vu par Romane
Le second était surprenant. Elle avait déjà vu des individus de son espèce mais le plus souvent sous forme de statue. Il y en avait d’ailleurs une dans la salle de l’Assemblée septem : un gobelin Graille. Il était couvert de pièces d’armure métalliques, portait un gros sac en cuir sur le dos et un casque grossier à la peinture blanche écaillée lui masquait le visage.

Clunk vu par Alissa
Ces deux-là se parlaient comme un vieux couple, ils essayaient de chuchoter mais des éclats de voix leur échappaient.
Le vieux Chien : “ Par Aharana comment fait-on déjà pour ouvrir ce passage !?
Le Gobelin : J’mets quelques pincées de poudre Phispile et on brèche la gaillarde !
– Espèce d’imbécile ! Si tu fais exploser quoique ce soit ici c’est toute la Garde pourpre du continent qui va nous nous tomber dessus.
– Personne n’entendra du fond d’galerie.
– Et les frère Sagustes, tu crois qu’ils vont faire quelle tête quand tu auras détruit la moitié de leur appartement ! Il avait un mécanisme, tête de fer ! Pousse avec ton pied.
– C’est du granit-fort, vieux clebs, rien bronche.
– Alors pousse plus fort !”
Soudain le mur face à eux s’entrouvrit.
Ils disparurent, silencieusement cette fois. Mais le passage resta entrebâillé. La souris avança à pas rapides, ouvrit grand ses oreilles et releva son museau.
Elle tenta sa chance de voleuse.
Le passage se referma derrière elle.
Elle se trouvait dans une grande chambre luxueuse, d’instinct elle alla directement se réfugier derrière une grande bibliothèque.
Ils ne l’avaient pas vu.
Les deux comparses n’étaient pas seuls dans cette pièce spacieuse et richement décorée, il s’y trouvait quatre autres personnes.
Une Femme korbine était en train de parler. Courtaude et bien bâtie, elle portait une double hache accrochée dans le dos et une sacoche de cuir finement ouvragée à sa ceinture. Ce devait être une Femme taureau mais ses traits de visage paraissaient très humain, elle devait être métisse.
A l’angle opposé de la pièce, droite et immobile, se trouvait une Femme elfe salamandre vêtue d’une épaisse cape verte qui recouvrait l’ensemble de son corps. Son magnifique visage contrastait avec son austère tenue.

Atana vue par Maïa
Face à eux, assis sur une banquette, deux moines Sagirres – des Hommes boucs – habillés de grandes toges raffinées, bleues marines et dorées.
Elle ne les avait pas remarqué au premier abord. Ils étaient immobiles. Peu à peu, en les observant, elle s’aperçut qu’ils étaient parfaitement identiques, tant dans leur apparence physique que dans leur façon de s’exprimer et de bouger.
Des jumeaux.
Au terrier de tante Alcine, il y avait des triplés. Un seul était gentil.
La Femme korb s’en prit aux deux nouveaux arrivants :
“Vous vous rendez compte qu’on vous attend depuis une heure et qu’on vous entendait vous disputer depuis l’autre côté du mur ?
Phoros le Cyb se défendit comme il put : N’exagères pas Toresse, nous avons eu des difficultés à atteindre les souterrains, il y a des gardes et des soldats de partout.
Toresse la Korb : Ce n’est pas comme si ce rendez-vous était prévu depuis des semaines ! Et vous attendez le dernier moment pour rentrer dans l’Assemblée, évidemment qu’il y a des gardes, une réunion des sept est en cours !
Clunk : D’autres marmites sur l’brasier.
Phoros : Et nous voici !”
Ils avaient l’air de bien se connaître ceux-là.
Il y eut un silence.
Elle observa plus attentivement l’endroit, cela ressemblait à des appartements privés, c’était une sorte de salon de réception avec des banquettes, une cheminée monumentale et de nombreuses bibliothèques.
Le premier des deux jumeaux pris la parole : “Mes amis, mes amis, l’essentiel est que vous soyez tous là.
L’Elfe salamandre : Et maintenant que nous sommes réunit, pouvons-nous connaître l’objet de ce rendez-vous ?
Premier frère : Nous y venons. Vous vous êtes déjà tous rencontrés à un moment ou à un autre, mais c’est la première fois que vous partirez en mission ensemble.
Le deuxième frère présenta l’Homme chien : Voici donc Phoros, dit le “cèdre”, un surnom mérité pour sa longévité et sa résistance, c’est l’un de nos plus anciens alliés.
Le premier frère pointa du doigt le Gobelin : Accompagné de son inséparable ami Maître Clunk, artificier de la Citadelle des Brèches.
Le deuxième introduisit la petite Korb taurine : Toresse qu’on ne présente plus, compétente en tout domaine, du combat à l’art de la récitation.
Le premier s’inclina devant la grande Elfe : Atana Vox Linia qui nous vient d’Oustrosaurie, qu’Entimichi me rende aveugle si Elfe plus rayonnante nous a fait l’honneur de ses services de diplomate.
Deuxième : Elle a ses entrées en de nombreux lieux utiles.
Premier : Comme vous l’avez dit justement, Maître Torresse, cette réunion était prévue de longue date, nous attendions une simple confirmation avant de nous engager plus en avant.
Deuxième : Cette nuit les savants de Mir sont venus présenter la Boîte andrope en leur possession et, comme prévu, il n’est quasiment rien ressorti de leur exposé. La Boîte qu’ils ont présenté était passablement abîmée.
Premier : Nous savons pertinemment qu’ils en ont au moins une autre en leur possession et que leurs travaux à ce sujet sont bien plus avancés que ce qu’ils ont voulu nous dire cette nuit.
Deuxième : Il est de notoriété publique que la République d’Hadman bénéficie d’avancées technologiques importantes et cela depuis des siècles, il y a fort à parier que ses avancées soient en lien avec ces fameuses Boîtes.
Premier : Bref.
Deuxième : Si nous vous avons convoqué ici c’est pour une simple mission de coursier.
Le Gobelin eut un hoquet de surprise : Coursier ?
Premier : Oui, cela peut paraître quelque peu dépréciatif mais ne vous y trompez pas, c’est une mission qui revêt beaucoup d’importance pour le Sanctuaire des comètes.
Deuxième : Nous allons vous demander de vous rendre avec la plus grande célérité à la principauté de Trénise, c’est un lieu de pouvoir et d’influence et, par chance, et par travail diplomatique, nous y conservons quelques appuis de grande valeur.
Premier : Dans neuf jours exactement se déroulera l’alignement de Ch’ta, les cinq lunes connaîtront un agencement astral exceptionnel ce qui nous permettra de comprendre plus en profondeur le contenu de ces Boîtes.”
Ikys eut comme un sentiment de déjà-vu, elle était à nouveau bloquée dans une salle de réunion à écouter des gens étranges discuter de choses encore plus étranges.
Toutefois cette petite assemblée avait l’air plus intéressante que la précédente, il s’agissait d’une sorte de chasse au trésor.
Elle lissa ses moustaches avec la pointe de ses griffes, caressant l’idée délicieuse des trésors à venir.
Elle se reprit, voilà de nombreuses heures qu’elle n’avait pas dormi, elle ne voulait pas commettre la même erreur que dans la grande salle de l’Assemblée en se laissant assoupir.
N’y aurait-il pas des objets de valeur juste sous le bout de son museau ?
Elle scruta la bibliothèque derrière laquelle elle était cachée, il n’y avait que des livres, mais sur le sommet de celle-ci elle aperçut plusieurs objets en métal doré.
Atana l’Elfe salamandre : “Neuf jours pour un aller-retour à Trénise. C’est envisageable mais nous ne devrons rien laisser au hasard pour respecter ce délai.
Premier frère : Ne vous inquiétez pas votre voyage est arrangé, et vous disposerez pour vous rendre à Trénise d’un ballon privé.”
Ikys, restant bien à l’arrière de la bibliothèque entreprit de l’escalader discrètement.
Phoros, le vieux Chien : “Y a t-il d’autres personnes qui sont au courant de notre expédition ?
Le deuxième frère se leva et continua à parler en arpentant la pièce : Nous avons pris toutes les mesures de précaution afin de garder cette entreprise secrète, mais ne nous y trompons pas, les oreilles indiscrètes sont nombreuses.
Premier : Et les Boîtes Andropes sont actuellement les objets les plus prisés de Settak.
Deuxième : De plus, Frère Antonin, qui s’excuse de ne pouvoir être là, a, dans l’une ses visions, perçu une “faille divinatorielle” entourant cette expédition.
Premier : Pour être tout à fait honnête nous n’avons aucune idée de ce que cela veut dire…
Deuxième : “Blanc”, il a ajouté “blanc” aussi.
Toresse : Blanc, mais qu’est ce qui est blanc ? La faille divina-machin ?
Premier : Nous n’en n’avons malheureusement pas la moindre idée !
Deuxième : C’est une mise en garde, et même si elle parait vague, les visions de Frère Antonin sont toujours pertinentes.
Clunk ricana : Blanc d’hiver profond, va pas nous aider à distinguer le lièvre dans le bosquet !
La Souris atteignit le sommet de l’étagère, s’y trouvait trois objets en bronze.
Intéressant mais ils sont trop gros. Je ne pourrais pas les sortir d’ici.
Son œil s’éclaira.
Elle vit une série de petites statuettes sur le rebord de la grande armoire à livres où elle se trouvait.
Phoros : Nous devrons revenir ici même ?
Deuxième frère : Nous vous attendrons dans neuf jours, jour de Guar, au Sanctuaire des comètes.
Toresse : Quatre personnes pour accomplir cette tâche ?
Premier : Effectivement, une personne de plus ne serait pas de trop…
Deuxième : Mais votre principale alliée sera la discrétion.
A cette la fin de cette phrase, le deuxième frère Sagustes qui s’était rapproché de la bibliothèque où se trouvait Ikys, donna un coup d’épaule à la base de celle-ci.
Le choc surprit la Mismice au pire moment pour elle, alors qu’elle s’était approchée du bord de la bibliothèque pour saisir l’un des objets en bronze.
Elle perdit l’équilibre et chuta lamentablement au sol.
Son apparition soudaine surprit complètement les aventuriers, mais amusa les Moines. Atana fut la première à dégainer sa dague et s’approcha de la Mismice.
Premier frère : Tout doux, madame Vox Linia.
Deuxième : Voici un renfort de dernière minute, pour compléter votre équipée.
Premier : Sa venue est un présage de réussite.
Phoros – Troisième jour – Obsi – Matin
À sa grande surprise Phoros avait réussi à dormir, lui qui peinait à trouver le sommeil.
L’aube était claire, le ciel dégagé et le vent semblait s’être calmé.
Voilà maintenant deux nuits et une journée entière qu’ils volaient à travers le ciel de Settak.
Ils avaient pris du retard, les deux Gobelins grenas qui pilotaient ce ballon avaient dû procéder à de nombreux réajustements des instruments de bord qui fonctionnaient à l’énergie lunaire.

Une Gobeline grena
Depuis l’apparition du deuxième soleil cette antique technologie semblait perturbée, et bien qu’il n’ait pas compris un traître mot des échanges entre les deux Gobelins, ces derniers semblaient fort contrariés.
Ils décollèrent le soir de Ban mais furent rapidement confrontés au Socco, un vent chaud et sec venu d’Istia, ce qui aggrava encore l’humeur des Gobelins.
A bord de cette petite nacelle faite d’osier et de nattes la vie était précaire. Avec Clunk, Atana et Torresse ils assuraient des tours de garde, même si à priori il ne pouvait pas leur arriver grand-chose dans le ciel, c’était une habitude tenace des mercenaires.
Au-delà des simples problèmes de logistique, ce qui préoccupait le vieux Cyb était la présence imposée par les frères Sagustes de cette petite voleuse mismice sortie de nulle part.
Encore un de leur tour facétieux de divination… mais s’ils ont insisté c’est qu’elle a un rôle à jouer.
Phoros restera fidèle aux Moines, question de principes, mais s’ils pouvaient lui épargner ce genre de surprise…
Pour la petite Ikys ce brusque départ vers l’inconnu semblait effrayant, elle les observait recroquevillée dans un coin de la nacelle, les yeux plissés et calculateurs. Elle avait l’air de n’avoir jamais volé et n’avait probablement pas connu grand-chose dans sa vie.
Dans quelques heures ils seraient à Trénise et il faudra alors la garder à l’œil, c’est un lieu prestigieux, où chaque salle regorge d’œuvres d’arts. Hors de questions de nuire à la réputation du Sanctuaire des comètes à cause de cette gamine.
“Où avez-vous eu cette épée ?”
C’était la petite souris qui prenait la parole, peut-être pour la première fois depuis leur départ.
Clunk, accroupi au centre de la nacelle occupé à préparer un petit déjeuner frugale à base d’œufs de Chosselette et de racines de Jan, lui répondit : “Une relique d’vie de troupier”
La Souris : Je n’ai jamais vu d’épée de ce type.”
Dans son fourreau de cuir finement gravé laissant apparaître une poignée ornée de saphirs blancs, cette épée avait évidemment de quoi attirer l’œil d’une jeune voleuse.
Phoros dégaina l’épée et lui montra sans lui permettre de la toucher, avant de la rengainer : “C’est une épée d’officier de la Garde pourpre, un souvenir de mon engagement dans cet ordre.
Toresse : Normalement, on ne quitte pas la Garde pourpre.
Phoros : Il parait, mais j’ai eu l’honneur de pouvoir partir avec mon arme. Une arme d’apparat qui plus est.
Pour la première fois les yeux d’Ikys s’éclairèrent : Vous avez fait partie de la Garde pourpre ?
Clunk : On fut gardiens du roi Brollaf des Montagnes d’ores et tas d’autres trucs, te fourvoie pas petit museau, le Cèdre est pas toujours droit, c’est un noueux.
Phoros : Garde ces vieilles histoires pour toi, Vieille rouille ! Il vaut mieux qu’elle s’intéresse à mon passé plutôt qu’au tien.”
Le Graille ne répondit pas et continua sa cuisine.
Ikys : “Vous ne m’avez même pas demandé mon avis pour m’embarquer dans votre histoire !
Toresse : Il fallait peut-être réfléchir avant de venir fureter au sein de l’Assemblée.
Atana : Tu aurais préféré qu’on te livre à la Garde pourpre ?
Ikys : Mais j’ai rien volé !
Phoros : Tu n’avais rien à faire là, et tu as entendu trop de choses. En te gardant avec nous on s’assure de ton silence.
Toresse : Et qu’est-ce que tu faisais là au juste, frimousse ?
Ikys : Je…Je voulais juste voir ce qu’il y avait dans l’Assemblée, voir les grands seigneurs et les belles dames.
Clunk : Et leurs riches pierrailles.
Ikys : Puisque je vous dis que je n’ai rien volé !
Phoros : Arrête de te plaindre, tu ne t’en tires pas si mal. Les Moines sont des gens en qui tu peux avoir confiance, je sais de quoi je parle. Et on va s’assurer que tu reviennes en seul morceau. En échange tu arrêtes de fouiner, sauf si on te le demande, et tu gardes ton petit museau fermé.
Officiellement nous sommes des marchands en mission diplomatique.
Ikys se renfrogna : Et on revient dans combien de temps ?
Atana : Nous devrons être de retour dans six jours.”
Le pilote gobelin situé à l’arrière de la nacelle grommela quelque chose à l’attention la mécanicienne Grenas qui s’activa aussitôt. Elle enjamba Atana qui dormait profondément à la poupe de la nacelle et grimpa sur le ballon en s’accrochant habillement aux cordages.
Ce n’était pas la première fois que Phoros la voyait ainsi se mouvoir, mais il ne comprenait pas pourquoi ils s’agitaient alors que tout avait l’air si calme : “Un souci ?”
“Restez à vos places !” aboya le pilote.
Il ne savait pas où les Moines avaient pu s’attacher les services de ces deux-là mais ce qui était sûr c’est que l’amabilité commerçante n’était pas leur point fort.
Clunk avait fini de mixer sa tambouille. Son casque toujours vissé sur la tête, l’air fier de lui il s’empressa de distribuer des rations de sa mixture à l’équipée.
“Mangez, c’est chaud-lave !”
Toresse renifla le contenu de son bol en bois et ne put retenir une moue dédaigneuse. Elle plongea sa main à l’intérieur de sa veste de cuir et en retira une flasque de métal, et, d’un coup sec de la nuque elle en avala une lampée.
Encore un souci à gérer pensa le vieux Cyb.
A ce rythme elle sera ivre avant midi.
Ikys fut moins exigeante, elle avala ce maigre repas avec avidité.
Clunk s’approcha d’Atana mais Phoros lui suggéra de la laisser dormir, elle avait veillé toute la nuit. Torres ouvrit la petite sacoche qu’elle portait à sa ceinture et en sortit une petite harpe. Au moins l’alcool lui permettait d’être créative.
Elle entama un petit air :
D’Istia ils voguèrent en quatre paires
Trésors de la flotte de Saphirs en rêve
Agiles et subtiles, les fols téméraires
Portés par le Socco, l’affaire fut brève
Subterfuges de la mer, aucun sang
Sous le blaire de la garnison d’Octore
Les braves furent riches pour mille ans
Chettprat lui-même, en rit encore
Le Cyb aimait bien les chansons de Toresse, celle-ci contait la seule attaque réussie contre la flotte des Saphirs dans la mer des Récifs blancs.
Cet interlude fit ouvrir grand les yeux à la Mismice.
C’est une gamine qui rêve de trésor.
La mécanicienne gobeline redescendit du haut du ballon avec un certain empressement et invectiva le pilote.
Phoros ne comprenait pas ce qu’elle lui disait mais le ton qu’elle employait l’inquiéta, il se retourna vers le pilote : “Qu’a-t-elle dit ?
Des bandits, des Megs juste en dessous !
Phoros alerta ses compagnons : Accrochez-vous !”
Le pilote initia une manœuvre d’évitement et vira de bord.
Clunk s’étala au sol, Atana roula sur le flanc et Ikys heurta le bord de la nacelle.
La gobeline encore suspendue aux cordages de la proue hurla : “Ils tirent !”
Un sifflement puis une déflagration.
Ikys hurla de peur, Toresse fut projetée hors de la nacelle. Le pilote vira à nouveau, dans l’autre sens cette fois.
Atana se redressa : “Toresse est tombée !”
Phoros se précipita sur le bord. Ils étaient à une cinquantaine de mètres d’altitude et survolaient à vive allure un paysage caillouteux parsemé de broussailles. Il crut apercevoir Toresse qui heurtait le sol mais son regard fut immédiatement attiré par le groupe de Megs qui actionna à nouveau une sorte de baliste.
Cette fois la grande flèche loupa sa cible.
Il y avait un trou béant dans la toile du ballon et le gaz s’en échappait dans un souffle sinistre.
Clunk cria : “Baudruche est crevée, on va fracasse !”
Le pilote hurla quelque chose, le Cèdre se retourna vers le pilote juste à temps pour voir qu’il était à la poupe du navire et qu’il sautait dans le vide.
Clunk : “Phoros ! La Peau rouge a sauté. Les Grenas fuit-lâche !”
Le ballon se déforma en se vidant de son contenu, il perdait de l’altitude rapidement et fonçait droit vers le sol.
“Toresse ! Il faut faire quelque chose pour Toresse” S’écria Atana.
Clunk : “Toresse fichue-baille, grippez-vous !”
Phoros jeta un œil par-dessus bord, plus bas les Gobelins flottaient suspendus à des parachutes.
Maudits Grenas ! Ils n’ont même pas essayé de sauver le navire.
Le Cyb gagna le poste de pilotage, il n’y comprenait rien, il était trop tard pour rattraper la situation, le sol se rapprochait à toute vitesse : “Couchez-vous au sol on va s’écraser !”
Ikys n’avait pas attendu que Phoros le lui demande, elle ne faisait qu’une avec le plancher de la nacelle, Clunk faisait de même mais Atana persistait à scruter l’horizon à la recherche de son amie.
Phoros dans un ultime bond la plaqua au sol juste avant le crash.
Atana – Troisième jour – Obsi – Matin
Atana avait perdu connaissance, elle reprenait difficilement ses esprits, sa vue était troublée. Elle peina à distinguer la masse informe qui se trouvait devant elle. C’était la nacelle, passablement écorchée mais intègre. C’était un miracle.
A quelques mètres, Ikys se redressa péniblement. Un peu plus loin elle vit Phoros et Clunk accroupis sur une petite dune qui regardaient en direction du sud.
Elle s’adressa à la Souris : “Comment vas-tu ?
– Je jure de ne plus jamais monter dans un ballon
– Tu es blessée ?
– J’ai perdu une dent.
La jeune Souris se remettrait de la perte d’une dent. Soudain, l’image de son amie basculant dans le vide lui revint dans un flash : Toresse ! Il faut qu’on aille à sa recherche !”
Phoros glissa sur la dune sableuse, revint vers elles au petit trot, et posa sa main sur l’épaule de la Salamandre.
“Atana, on ne retrouvera pas Toresse, c’est impossible qu’elle ait survécu à une chute pareille. Nous avons des ennuis plus pressants.”
Un hoquet de douleur lui traversa la poitrine. Il avait sans doute raison mais elle n’était pas prête à l’accepter.
Elle n’a pas pu mourir aussi bêtement, pas Toresse.
Une petite troupe de soldats vêtus de pourpre franchit la dune et s’approcha d’eux, armes à la main. Deux Korbs rhinos et un Cyb, portant boucliers, lances et épées à la ceinture. C’était des Garde pourpres.
Atana les interpella : “Gardes ! A quelques kilomètres au nord d’ici se trouve une troupe de Megs, ils ont abattu notre navire, notre amie est tombée. Il faut partir à sa recherche !”
Ils la dévisagèrent avec méfiance sans lui répondre, puis rangèrent leurs armes quand Phoros arriva.
“Le Cèdre ? par Karmcano comment te retrouves tu ici ?
– Nous avons été attaqués, nous sommes en mission diplomatique.
– Ahaha, le Cèdre, jamais là où on t’attend, n’est-ce pas ? Vous tombez très mal, regardez l’état de la mer, elle est recouverte d’Encre. Les Causteurs ne vont pas tarder à attaquer. Et nous sommes là pour les repousser.”
Atana réalisa alors où ils se trouvaient. Elle gravit la petite butte au sud et s’aperçut qu’ils se trouvaient sur le littoral. La mer était recouverte d’une substance noire qui semblait bouillir, des bulles éclataient à sa surface.
Par les Dieux, quelle est cette horreur ?!
Ils n’étaient pas seuls, c’était une véritable petite armée qui avait établi une position défensive face à la mer : des tranchées avaient été creusées et des pieux plantés.
Juste à côté d’eux se trouvait un détachement de la Garde pourpre avec deux Mosses, ces grandes créatures dotées de solides défenses sur le dos desquelles était harnachée une plateforme garnie d’archers et de lanciers. La troupe pourpre comportait aussi une ligne de lanciers parfaitement alignée, prolongée à leur droite par un canon.
Atana reconnut la bannière qui y était attachée : c’étaient des artilleurs des Baronnies d’Ysens. Seul Entimichi savait comment ils avaient pu amener un canon de cette taille ici.
Plus à droite encore se trouvaient des Oustrosauriens, ceux-là elle les connaissait bien, des contingents des tribus de Lex Ranii de Carvage et de Thaggo Plax de la Tour de Salt qui étaient constitués principalement d’archers ; enfin à sa gauche, en retrait, elle finit par distinguer un groupe de char à voile des clans d‘Istia, habillement camouflés dans le désert.
Voilà un assemblage d’armées pour le moins hétéroclite.
Elle ne repéra pas de poste de commandement.
Peu de chance que toutes ces troupes soient coordonnées.
Phoros proposa son aide à l’officier de la Garde pourpre mais celui-ci refusa, le Cyb ne faisait plus partie de la l’Ordre. Il les enjoignit à rester là où ils étaient et à ne pas se mêler du combat.
Elle scruta la mer. A part cette substance étrange qui bouillonnait elle ne voyait rien d’anormal, l’horizon était dégagé, aucun navire à sa surface.
Elle se détendit quelque peu, une larme coula sur son visage, ses émotions étaient confuses.
Il va falloir se reprendre.
Elle honorerait la mémoire de sa compagne plus tard.
L’émotion reflua.
Son regard s’arrêta sur la petite Souris à quelques mètres d’elle qui humait l’air et regardait en tous sens. Elle était désemparée. Atana se rapprocha d’elle : “Tu restes avec moi et tu ne prends aucune initiative, compris ?” La Souris acquiesça du museau.
Le son retentissant d’un cor résonna, auxquels répondirent plusieurs autres aux tonalités différentes.
“Les Causteurs arrivent !”
L’appel se répandit parmi les soldats.
Atana s’allongea au sommet de la dune, gardant Ikys bien près d’elle. Clunk et Phoros firent de même à proximité.
Ikys : “Je ne vois rien.
– Moi non plus, je ne comprends pas.
Ikys parla plus doucement : “Ce ne serait pas le moment de fuir ? Je ne suis vraiment pas prête à faire la guerre.
Ne t’inquiète pas Ikys, il y a là de quoi faire reculer bon nombre d’adversaires.”
Proche du rivage, commença à émerger de l’Encre des fers de lances et des pics.
Ils avançaient lentement vers la grève.
Ikys : “Ils marchent sous l’eau !”
Qui peuvent-ils bien être ? Et comment font-ils pour respirer ?
Ils se dévoilèrent peu à peu, équipés de boucliers et de lances, des humanoïdes à la peau luisante noire et bleutée, leur tenue et équipement étaient étranges.
Mais leurs intentions limpides.
Ils reçurent une première volée de flèches. Les soldats de la mer parvinrent à les parer avec leurs boucliers mais certains d’entre eux s’effondrèrent.
Ils ne sont donc pas si redoutables que cela.
Une deuxième, puis une troisième vague avança, ils progressèrent jusqu’aux pieux disposés défensivement.
A les regarder plus attentivement Atana constata que certains étaient équipés de masques qui leur servaient probablement à respirer sous l’eau. Mais d’autres n’avaient pas d’équipement spécifique, et semblaient pouvoir respirer comme des poissons.
Une forte explosion retentit.
C’était la canonnière d’Ysens qui venait d’ouvrir le feu. Un tir mal ajusté qui provoqua une immense gerbe d’eau.
Les Causteurs attaquent
De la mer surgissaient d’autres créatures, celles-ci étaient véloces et foncèrent directement sur la ligne de lanciers de la Garde pourpre. Elle n’avait jamais vu de tels monstres. On aurait dit des chevaux aquatiques, des sortes d’hippocampes. Leur peau était sombre et leurs pattes ressemblaient à des tentacules. Elles se succédaient rapidement dans leurs appuis à tel point qu’elle n’aurait su dire combien ils en avaient. Il y en avait de plusieurs sortes et des cavaliers les montaient.
La Garde pourpre encaissa la première charge et grâce à une discipline de fer et une organisation parfaite réussi à les repousser. Les assaillants se dispersèrent. Des cris de victoire se firent entendre parmi les Settakiens : “Hourra ! Par Karmcano !”
Mais cette joie fut de courte durée.
Un nouveau son se fit entendre, un vrombissement profond qui fit taire les soldats.
Une masse indistincte souleva l’Encre.
La canonnière des Baronnies fit feu et toucha au but sans réussir à empêcher cette infernale machine de sortir de l’eau. Elle était de forme oblongue. Le fuselage était constitué d’une épaisse carapace noire, parsemée d’orifices ronds. Plusieurs passerelles en métal doré longeaient ses flancs. Elle n’avait jamais vu cela.
Une évocation fugace lui vient à l’esprit mais elle ne sut fixer sa pensée en ce moment.
L’engin de grande dimension était équipé de canons qui projetaient des gerbes d’Encre enflammée.
Les Mosses de la Garde pourpre en furent les premières victimes, les malheureuses créatures prises par les flammes battaient en retraite.
Une nouvelle vague d’infanterie causteur émergea de l’eau alors que boulets de canon et volées de flèches leur tombaient dessus, mais, grâce à l’appui de leur zeppelin ils progressaient malgré tout.
C’est alors que les chars à voile d’Istia firent leur entrée, à toute allure ils balayèrent dans une charge furieuse les soldats qui venaient juste de prendre pied sur la plage.
Lances et lames déployées, rien ne leur résista.
Soudain, des cris stridents au-dessus de leur tête firent sursauter Atana et Ikys.
Dans le ciel, des Krakvas fendirent l’air en direction du zeppelin.
Le Comté de Reyes !
Elle ne s’attendait pas à les voir combattre aux côtés des Baronnies d’Ysens.
Malgré le courage des nobles du Comté leur attaque n’eut quasiment aucun effet contre le zeppelin, sa carapace blindée était insensible aux coups portés par les armes des cavaliers ailés.
Ils chutèrent dans la mer les uns après les autres, vaincus par les défenses aériennes de l’infernal machine.
Un petit groupe de rescapés volants s’enfuit en ordre dispersé.
Inlassablement, de nouvelles vagues de soldats causteurs prenaient pied sur la grève.
Les chars d’Istia tentèrent de venir en aide aux archers d’Oustrosaurie pris à parti par la cavalerie aquatique. Manquant de place pour lancer une nouvelle charge, ils n’eurent pas le même impact et finirent par fuir à leur tour.
Une gerbe d’Encre pulvérisa la canonnière des Baronnies.
Partout où Atana porta son regard, les envahisseurs prenaient le dessus, même la Garde pourpre reculait. Un cavalier causteur passa à proximité d’elles de l’autre côté de la dune. Elle détacha sa ceinture. Constitués de trois sphères en métal reliés par une solide corde, ses bolas étaient redoutables et avaient l’avantage de paraître inoffensifs une fois noués autour de sa taille. Mais elle se ravisa quand elle vit l’assaillant s’éloigner.
Ikys : “Atana ? Avons-nous chance de les battre ?”
La voix de la souris n’était qu’un filet apeuré.
“Pas de cette façon.
Phoros !”
Elle se retourna mais les deux mercenaires avaient disparu.
Ikys : “C’est maintenant qu’on fuit ?”
Des flammes léchèrent la dune juste de l’autre côté de la crète.
Atana attrapa Ikys par le col et, recroquevillées, elles s’éloignèrent des combats.
C’est alors que surgit un des hippocampes causteurs. Ikys hurla de terreur. Atana repoussa la Souris loin d’elle pour la protéger et dégaina sa dague jusque-là cachée sous sa cape.
La créature lui faisait face, la tête squelettique de la monture était recouverte de concrétions marines, ses yeux étaient blancs et nacrés.
Sur son dos un cavalier brandissait sa lance.
Elle distingua clairement les branchies qui s’ouvraient et se fermaient à un rythme accéléré.
Il a du mal à respirer.
Le cavalier chargea et la Borsippienne l’évita par une roulade maîtrisée sur le côté.
Elle planta sa dague dans le flanc de la monture qui poussa un cri étrange. Le cavalier aquatique fit demi-tour et chargea à nouveau. Au moment de frapper avec sa lance son mouvement fut retenu, Atana mit un instant à comprendre, Ikys avait tiré avec son filin et lui retenait le bras.
La Souris fut emportée à la traîne du cavalier, Atana en profita pour s’esquiver et réussit à planter une nouvelle fois sa dague cette fois ci dans la cuisse du cavalier, dans un deuxième mouvement enchaîné elle sectionna le fil du grappin.
Le cavalier poussa un râle aigu, il était surpris et prit la fuite.
Atana releva la souris.
Des cris retentirent.
Phoros, Clunk et un petit groupe de soldats en déroute franchirent la dune en courant, ils furent soufflés par un jet d’Encre enflammé du zeppelin.
La plupart des fuyards furent projetés au sol. Leur compagnon et un Gobelin dragon parvinrent à les rejoindre.
L’Elfe les harangua : “Où étiez-vous ?
Phoros : Clunk voulait voir l’Encre enflammée de plus près, dès que ça brûle et que ça explose, il est comme un chien fou.
Clunk : Vieux clebs ! Fausse lave, vraie explosion. Clunk a mieux dans besace.
Atana : Mais qu’est-ce que vous racontez ?
Phoros : Il ne faut pas rester là !”
Ils s’empressèrent de s’éloigner de la bataille, et franchirent une autre dune.
Ikys : “Ils nous suivent !”
La Souris avait raison, des lanciers des mers étaient sur leurs traces.
Phoros : C’est le moment Tête de rouille, montre-leur tes talents.
Clunk : Claque sec !”
En disant cela le Graille actionna un petit mécanisme qu’il tenait dans sa main.
Une série d’explosions souleva dans les airs les Causteurs partis à leur poursuite.
Atana : “Impressionnant, maître Clunk !”
Le Graille affiche un large sourire de satisfaction.
“Phispile a parlé.
Atana n’était pas rassurée pour autant : Comment allons-nous nous sortir d’ici ?
Ikys : Je voulais pas venir avec vous ! On va mourir carbonisés !”
Leur compagnon de fuite, le Gobelin dragon qui se trouvait avec eux, prit la parole :
“Pas de panique. Les barges de transport de la canonnière, on les a cachées pas loin d’ici.”
Ikys – Quatrième jour – Verma – A l’aube
Après une traversée maritime sans encombre durant laquelle le soldat Grabelin qui avait fui avec eux les abreuva de paroles. Un flux ininterrompu entrecoupé de coup de gueules irrationnels – il voulait qu’on retourne au combat, qu’on se batte à nouveau pour récupérer la canonnière, qu’on noie les Causteurs – ils atteignirent enfin la principauté de Trénise.

Cliff vu par Sam
Intérieurement, elle se moqua de la crise de nerf du soldat, avant d’être elle-même aspirée par la mélancolie. Tout cela était allé très vite, l’Assemblée septem, le crash du ballon, la bataille,… Ce qu’elle voulait, elle, c’était accomplir de hauts faits de voleuse, pas être ballottée de force au sein d’un groupe de mercenaires pour aller chercher une stupide boîte. L’aventure, elle ne concevait pas cela comme ça, et maintenant elle voulait se retrouver dans son village-terrier avec ses frères et sœurs et sa famille.
Tout cela n’existe plus, il faut que j’aille de l’avant.
Sa gencive se remit à saigner.
Une larme lui échappa.
Durant cette navigation d’un jour et une nuit, elle sympathisa avec Clunk. Le gobelin Graille était rustre mais au final sympathique. Le Vieux chien, lui, ne la lâchait pas du regard et restait distant et strict.
Atana l’a pris sous son aile, du moins c’est ce que certaines attitudes de l’elfe lui laissent espérer.
Elle se souviendrait toute sa vie de son arrivée à la principauté de Trénise : une mer bleue émeraude, l’aube illuminée par les deux soleils et de magnifiques bâtiments blancs et nacrés siégeant, fondations et escaliers plongeants dans l’eau, tout autour d’une large crique.
La principauté de Trénise
L’accueil fut cordial, les Moines n’avaient pas menti, leurs liens avec la Principauté sont encore solides. Une femme Sagirre en tenue sobre mais élégante de diplomate les attendait, ils firent un rapide exposé de leur péripéties – L’épisode de la bataille contre les Causteurs retint un instant l’attention de la diplomate – Puis ils furent conduits à un vaste appartement constitué d’une grande pièce de vie bordée de petites chambres en alcôves, le tout se prolongeant sur une large terrasse panoramique.
L’architecture de Trénise était assez complexe, toits, escaliers et vastes terrasses avec vue sur la mer s’entrecroisaient sans qu’il n’y ait toutefois de vis à vis entre les appartements.
Dans leur suite, un riche repas leur fut servi, fait de mets raffinés, vins de l’île d’Évise et poissons des Récifs blancs.
Les conversations allèrent bon train à propos de cette bataille perdue et l’alcool commença à monter à la tête de certains.
Le Gobelin Dragon : “Avec deux bataillons d’Ysens de plus nous les aurions écrasés sur la plage, quand je pense à ces lâches de Reyes, une attaque et ils ont fui.”
Ce Gobelin était désagréable dans tous ses aspects, pensa Ikys, il lui rappelait un de ses oncles.
Atana : “Sans vouloir intervenir dans le conflit entre Reyes et Ysens, il faut dire que les armes des chevaucheurs étaient sans effets contre le Zeppelin Causteur, sa carapace était impénétrable.
Le Grabelin fut méprisant : Pfff…Les Oustros, vous n’avez pas fait mieux avec vos flèches.”
Atana ne répondit pas à la provocation.
Clunk grommela : “Machine infernale, jamais vu pareille diablerie.
Phoros semblait songeur : C’est inquiétant, oui, même la Garde a dû reculer.
Ikys essayait de comprendre : Comment les Settakiens savaient que les Causteurs attaqueraient ici ?
Phoros : L’Encre, des Istiens l’ont aperçu quelques jours avant.
Atana : Il faut espérer que cet échec ne décourage pas les Settakiens de combattre ensemble.
Ikys s’impatientait, la guerre, toujours la guerre, elle n’y trouvait aucun intérêt : Nous repartons bientôt ? Quand allons-nous récupérer cette fameuse B…”
La Souris fut interrompue par un discret coup de pied d’Atana sous la table, mais ce début de phrase avait éveillé l’attention du Grabelin.
Le Grabelin prit un air suspicieux : “Qu’est ce que vous êtes venus faire ici au juste ?
Phoros mentit avec aplomb : Honorer un contrat commercial de longue date.
Le Grabelin but goulûment un grand verre de vin : Je dirais que vous avez pas vraiment l’air d’être des marchands.
Phoros : On ne peut pas dire que les Gobelins dragons soit réputés pour leur talent de guerrier, et pourtant vous êtes là.
Le Grabelin piocha sans manière un morceau de poisson dans un plat : Je suis maître artificier ! Et je me bats pour les Barronies. Et vous ? Pour qui vous battez vous ?
Atana : Nous sommes des commerçants, pas des guerriers.
Le Grabelin se leva : Je vais vous dire, vous avez des têtes de comploteurs et j’aime pas ça.
Clunk : T’aimes pas nos têtes, mais bien la bouffetance d’la table.
Le Grabelin : T’as raison le Graille, j’aime pas vos trombines et je compte pas rester. Un repas contre un voyage en mer vous vous en tirez à bon compte. Je repars sur le continent, j’ai une guerre à mener, je fais pas dans les manigances, moi.”
Ce disant il récupéra ses affaires avec grand bruit et quitta l’appartement.
Après un court silence Phoros reprit la parole : “En voilà un qui ne nous manquera pas.
Atana : Il ne faudrait pas qu’il nous cause du tort.
Phoros jetta un regard dur à la Souris : Voilà pourquoi il faut tenir sa langue, blanc museau.
Clunk : Stupide troupier, personne l’écoutera.
Atana : Il ne sait rien de toutes façons.
Phoros : Espérons…”
Le repas se prolongea avec beaucoup moins d’entrain et de joie.
Atana parut plongée dans ses pensées : “La structure du Zeppelin des Causteurs m’évoque quelque chose, mais je n’arrive pas à savoir quoi.
Phoros : Tu as peut-être vu quelque chose de similaire à l’université de Mir ?
Atana : Peut-être, il y avait bien différentes reliques de l’Âge de Karfieh, d’anciennes technologies issues de l’énergie lunaire mais rien d’aussi élaboré.”
Elle marqua un temps d’arrêt et se saisit le visage.
“C’est une période confuse, je n’ai pas tous mes souvenirs.”
Elle n’a pas l’air bien.
Ikys lui tend une corbeille de petit fruits bleus.
Atana sourit : “Merci Ikys, ça va aller.”
Clunk prit ses aises sur une banquette et sembla prêt à entamer une sieste : “Vilenies de dieux perfides, claque bas.
Atana : Maitre Clunk a raison, reposez-vous cet après-midi, je vais pour ma part aller me recueillir à la mémoire de Toresse. Nous avons rendez-vous ce soir pour récupérer l’artefact.
Phoros : Je viendrai avec toi.
Atana : Non, je prendrai Ikys. Toi et Maitre Clunk prenez vos dispositions pour l’appartement, nous devrons y rester cette nuit avec la Boîte.
Phoros hésita, puis acquiesça : Soit, je prendrai le premier tour de garde.
Le Cyb pointa son doigt griffu vers Ikys : Et toi, petite souris, je suis bien conscient que nous sommes dans un palais luxueux et que tous tes sens vont s’affoler à chaque fois que tu vas rentrer dans une pièce, mais ne cède pas à la tentation ! Si tu fautes ici on ne pourra rien pour toi.
Ikys afficha son plus beau sourire de souris rassasiée : Promis !”
Après ce qui fut le meilleur repas de sa vie, en tous cas le plus savoureux et exotique, la petite souris s’endormit dans des coussins soyeux et parfumés.
Elle fut immédiatement absorbée par un rêve profond.
Si le début fut constitué d’un doux sentiment de satiété, de sensations légères, de parfums sucrés et de bateau qui file sur une eau parfaitement lisse et limpide, son rêve tourna vite au cauchemar.
Elle fut happée brusquement tout au fond de l’eau.
Plongée dans les abysses et ne pouvant plus respirer, elle paniqua.
Elle se griffa le cou, puis réalisa qu’elle flottait maintenant dans les airs.
Au sol elle vit de petites créatures misérables qui cheminaient difficilement dans un terrain boueux et parsemé d’arbres rachitiques. Elle reconnut les créatures et fut prise d’effroi, car il s’agissait de sa mère et ses sœurs réduites en esclavage, faméliques.
Elle se débattit et cria, mais elles ne l’entendaient pas. Elle voulut descendre vers le sol mais elle n’avait le contrôle de son corps, un terrible sentiment d’impuissance l’envahit.
Soudain, deux Griffons – des Hommes oiseau – foncèrent sur elle. Ils cherchaient à l’attraper avec leurs serres, par de folles acrobaties aériennes elle réussissait à les esquiver mais elle finit par s’écraser au sol sur une immense stèle en grès gris bordée par une forêt sombre.
Elle se releva, les Griffons n’étaient plus là.
Son regard fut absorbé par une énorme boîte aux reflets bleus qui trônait au centre de la stèle.
Elle s’approcha de la boîte, celle-ci était parfaitement lisse et sans système d’ouverture apparent. Alors qu’elle cherchait une ouverture, des bruits derrière elle retinrent son attention. De grandes tentacules visqueuses venant de la forêt serpentaient sur le sol et glissaient dans sa direction.
Elle recula, terrifiée, jusqu’à tomber à la renverse sur un sol terreux qui sentait l’humus frais.
Les tentacules étaient sur le point de la saisir quand elle remarqua un trou à la base de la stèle, sur laquelle un symbole en forme de flèche était gravé. Prise de panique, elle plongea à l’intérieur du trou.
Elle joua des mains et des pieds pour s’enfoncer dans le tunnel, puis, ce qui semblait être une galerie en pierre se transforma en terrier familier.
Cela la rassura et elle retrouva un calme précaire, elle se sentait en sécurité ici, l’endroit lui rappelait ses jeunes années au domicile familial.
Mais ce fut un répit de courte durée, car la galerie devint rapidement trop chaude. Elle dû ramper plus profondément alors que les tentacules s’immisçaient dans le boyau à sa recherche.
Elle finit par regagner la surface et émergea à l’intérieur de la boîte elle-même, au centre de la stèle. Ici, les tentacules ne pouvaient plus la saisir.
La boîte commença alors à légèrement léviter et gagna les airs.
Elle ressentit un soulagement, car elle s’était enfin débarrassée de toutes ces influences maléfiques.
Soudain la boîte explosa.
Elle se réveilla en sursaut.
Atana se trouvai près d’elle : “Du calme ma belle.
– J’ai fait un affreux cauchemar.
– Tu as probablement trop mangé.
– Mais… J’ai cru…Ma mère…
– Oublie ça, ce n’était qu’un rêve. Il faut y aller.”
Elle reprit ses esprits et constata que la nuit commençait à tomber. Dans la suite, les autres vaquaient à leurs occupations, Phoros reprochait à Clunk la dimension d’un piège que le Graille installait à l’entrée de la terrasse : “Tu vas faire sauter tout le palais avec ça !”
Ikys et Atana les laissèrent à leurs habituelles disputes et quittèrent discrètement l’appartement afin d’aller récupérer la Boîte.
Elles remontèrent une grande allée bordant un parc intérieur, colonnes et arcades jouxtaient cette voie. Un petit groupe de Nains gamelins les croisa, Ikys essaya de ne pas les dévisager mais ne put s’empêcher de loucher sur le pendentif serti de rubis de l’un d’entre eux. Après les avoir dépassés, Atana l’attrapa par l’épaule, elles tournèrent à gauche dans une allée couverte décorée par des gravures murales.
Atana : “Tu n’es pas aussi discrète que tu le crois, ne dévisage pas les gens.
Ikys : Il n’y a pas de gardes à la Principauté ?
Atana : C’est un lieu de diplomatie, pas un lieu militaire, la violence est bien présente mais plus discrète et subtile.
Puis, plus doucement : Jette un œil à droite.”
Entre deux œuvres, une paroi était constituée d’un treillis d’argile à travers lequel la Souris perçut un regard : les yeux félins et affûtés d’une vigie Hishkane.
Elles prirent à nouveau à gauche, et entamèrent la descente d’un escalier étroit.
Un rubis de cette taille doit avoir autant de valeur qu’un château. Non, peut-être pas, pour acheter un château il me faudrait quelque chose qui a plus de valeur encore. Quelque chose de rare. Plus c’est rare, plus ça a de la valeur. Une Boîte andrope ?
Ikys chuchota : “Que vont faire les Moines avec cette Boîte ?
Atana lui lança un regard glacial : On nous a missionné pour récupérer un objet, pas pour poser des questions.”
Elles progressèrent dans une galerie de service, un lieu qui ne voit pas la lumière du jour, faiblement éclairé par de rares torches. A en juger par l’humidité, elles étaient sous le niveau de l’eau. Encore un virage, à droite cette fois-ci, et, plongée dans ses pensées, la Mismice heurta frontalement le ventre mou d’une grande créature. C’était un Grache – un Homme ours – qui dépassait aisément les deux mètres, vêtu d’une grande robe jaune et bordeaux.
L’imposant Grache sourit puis prit un air grave : “Vous devriez être plus prudentes. Ce que je vais vous remettre n’est pas une babiole.
Atana : Mes excuses Archimestre Arrocar. C’est une jeune apprentie, les Moines ont insisté pour qu’elle vienne avec nous.
Arrocar le Grache : Fort bien. Une nouvelle recrue Mismice aux services des sages du Sanctuaire.”
Il sourit à nouveau.
Atana : “Nous avons été témoin d’une bataille près de l’arche de Ruk, la puissance des Causteurs est inquiétante.
Arrocar : J’en ai eu vent, malheureusement cela ne fait que confirmer les rapports que nous avons reçus de la Villefranche de Welfsbourg, de la citadelle de Craussan et du port de Donesti. Les Causteurs semblent inarrêtables.
Atana : Donesti ? C’est votre région d’origine, n’est-ce pas ?
Arrocar : De l’Hililaya, oui. Mais les montagnes ont été épargnées par les combats. Je vous remercie pour votre sollicitude, mais peu importe. Ce qui compte c’est que vous remettiez cela au plus tôt aux Moines.”
Le Grache leur donna une sacoche en cuir ouvragée. Atana vérifia rapidement son contenu, Ikys jeta un œil indiscret : la Boîte andrope était emballée dans du papier épais.
Le visage de la Salamandre se figea un instant sans que la petite souris ne puisse déterminer quelle émotion l’avait traversée.
Le Grache : “Les Moines ont fait mention d’une faille, vous avez pu en apprendre plus ?
Atana parut absente, elle scrutait les recoins sombres de la pièce.
La Souris s’inquiéta et fit de même, mais elle ne vit rien.
Atana referma la sacoche : “Non, rien de concret. Mais la menace se précise. Nous avons déjà à déplorer la perte de l’une des nôtres, nous serons sur nos gardes.
Le Grache : Navré de l’apprendre. Un navire part demain matin pour Entimichiopolis, tout est arrangé.
Atana s’inclina : Soyez assuré Archimestre que le soutien de la Graine d’Illishina ne sera pas oublié.
Arrocar porta la main sur son coeur : Transmettez mes amitiés aux frères Sagustes. Et surtout faites attention.”
Ainsi se termina l’échange, bref et courtois. La bonhommie du Grache contrastait avec cette ambiance de complot périlleux.
Quand elles eurent regagné le pourtour du parc la souris se hasarda à une question : “La Graine d’Illishina ?”
Atana à voix basse : “Un mouvement pacifiste, ce sont des alliés des Moines.
Ikys s’efforça de parler doucement : “Et pourquoi vous avez dit que la menace se précise ? Vous avez vu quelque chose dans le souterrain ?
Atana : “Non. Peut-être. Une ombre…”
Ikys : “Mais alors…”
La Souris n’eut pas le temps de poser sa question, l’Elfe lui enserra le bras d’une poigne vigoureuse.
Atana : “C’est un endroit dangereux, je te l’ai dit. Reste sur tes gardes et surtout tais toi. Les murs ont des oreilles ici.”
Elles regagnèrent la porte de leur appartement. Atana toqua deux fois, attendit un peu, puis trois fois.
C’est la voix étouffée et caractéristique de Clunk qui leur parvint de l’autre côté de la porte. “Pas ouvrir !” Puis des bruits sourds et enfin la porte s’ouvrit. Elles entrèrent. Le Graille afficha un large sourire sous son casque : “J’ai piégé la lourde, mais pas de sang mauvais, aucun explosif !”
Cela ne sembla rassurer qu’à moitié l’Elfe qui scruta avec inquiétude l’encadrement de la porte : “Nous avons la Boîte !
Phoros se tenait près de la terrasse : De ce côté aussi nous avons pris nos dispositions. L’appartement est sûr, personne ne pourra entrer sans que nous ne soyons avertis.
Atana : Alors il ne nous reste plus qu’à passer la nuit. Nous partirons par bâteau demain matin.
Phoros : Je prendrai le premier quart, vous pouvez aller vous coucher.
Le Vieux chien marqua un temps d’arrêt, puis reprit : Sauf toi, petit Museau, tu vas m’expliquer ce qu’est ceci ?
Il tenait dans sa main l’émeraude qu’elle avait volé dans la grande salle de l’Assemblée septem et la montra à tout le monde.
Il va falloir improviser se dit elle, le Cyb a l’air déterminé.
Ikys prit un air courroucé: Vous avez fouillé dans mes affaires ?
Phoros : J’aime bien savoir avec qui je dors.
Ikys : C’est un bijou de famille, j’y tiens beaucoup, vous n’avez pas le droit.
Phoros était narquois : Un bijou de famille ! Vous avez beaucoup de simili émeraude dans les Montagnes de Lugdulupug ?
Ikys s’étrangla : Une simili… ?
Atana : Ce sont des pierres sans grandes valeurs, mais on en trouve beaucoup en Karfieh et elles servent d’ornement sur les statues, celles de l’Assemblée septem notamment.
Clunk se moqua : Frimousse a pas encore l’œil !
Phoros : C’est un bijou de famille ! Mais tu ne sais même pas de quoi il est fait.
Ikys : Il était à ma grand-mère !
Phoros : Tu mens mal, Museau.
Atana intervint pour calmer l’échange : Elle s’est bien comportée jusque-là, rends-lui sa pierre.”
Phoros fit rouler la petite pierre entre son index et son pouce.
Puis l’envoya à Ikys d’un jet rapide. La Souris l’attrapa au vol d’un geste assuré et la glissa au plus profond d’une de ses poches.
Clunk ricana : “Mauvais mensonge, mais griffes de voleuse.
Phoros : Va pour cette fois, mais tu la remettras à sa place quand on sera revenus.”
Elle s’en tirait à bon compte et se fit oublier en regagnant une des alcôves.
Elle était vexée de s’être fait démasquer si facilement.
Le Graille avait raison, elle mentait mal, elle devait progresser dans ce domaine.
***
Il faisait maintenant nuit noire à l’extérieur, un brasero diffusait une lumière douce au centre de l’appartement alors que des torches avaient été allumées sur la terrasse. Clunk tenait fermement son tour de garde et Phoros semblait endormi dans son alcôve.
“Quel vieux cabot !” pensa-t-elle. Comment a-t-il su pour la pierre ?
Il a tout simplement fouillé dans mes affaires et je ne l’ai pas assez bien cachée.
De son lit elle ne pouvait pas voir l’Elfe salamandre mais tout semblait indiquer qu’elle dormait, pas un bruit de ce côté-là.
Ses pensées étaient confuses. Ou plutôt c’était un conflit interne qui l’animait. Elle hésitait à partir déambuler dans ce qui semblait être l’endroit le plus riche auquel elle n’ait jamais eu accès.
Comment rester ici sans rien tenter ?!
Mais après ce qui venait de se passer elle se disait qu’elle n’aurait pas le droit à une deuxième chance, et pour être tout à fait sincère avec elle-même elle commençait à apprécier cette petite troupe. Même s’ils l’avaient forcée à venir ils lui permettaient d’apprendre, et de découvrir des lieux qu’elle n’aurait même pas osé imaginer.
Son passé la tourmentait, son goût pour l’aventure l’avait empêchée d’être là pour sauver sa famille.
Ça ne sert à rien de penser ça, si j’avais été là je serais morte moi aussi.
Si je me fais attraper, je suis bonne pour les geôles…
Alors il suffit de ne pas se faire attraper !
C’est avec cette pensée en tête qu’elle réussit aisément à fausser compagnie à Clunk, ce dernier portait son attention sur la terrasse et tournait le dos à l’appartement.
Ce fut donc un jeu d’enfant de désamorcer le piège de la porte d’entrée et de se glisser tel un jeune chat Hishkan dans les couloirs de cet immense terrain de jeu.
Elle déambula dans les larges allées extérieures de la Principauté, tout d’abord en longeant les murs puis, réussissant à se convaincre qu’elle n’avait rien à craindre – après tout elle était une invitée de marque en ce lieu – elle marcha au beau milieu des couloirs d’un air qu’elle espérait normal.
Elle se décida à retourner au parc qu’elle avait traversé en fin d’après-midi avec Atana.
C’était un lieu empli de richesses à n’en pas douter, mais rien qu’une petite souris de sa taille ne pourrait emporter facilement : plaques en marbre sculptées et fixées aux murs, statues imposantes, charpentes ouvragées… les petits objets de luxe se trouvaient dans les appartements.
Un reflet bleu attira son regard, les yeux d’une statue semblaient briller, elle s’en approcha et chercha à prendre ce qui semblait être une pierre précieuse. L’œil ne se détacha pas, elle grimpa sur le personnage en pierre et utilisa ses incisives pour l’arracher.
Rien n’y faisait.
Elle redescendit et cracha les morceaux de peinture qu’elle avait dans la bouche.
C’est de la pierre peinte.
Il faut que je rentre dans un appartement si je veux un objet de valeur suffisamment petit.
Alors qu’elle commençait à scruter les différentes portes qui entouraient le parc, elle sentit qu’on l’observait. Les gardes la Principauté étaient là, elle ne savait pas où, mais ils étaient là. Elle se rappela la petite leçon d’Atana, tout semblait calme, pourtant dans les zones d’ombres, on l’observait. Ils avaient dû la voir en train de s’attaquer à la statue, elle ne pourrait pas justifier cette action.
Un frisson de peur lui parcourut l’échine.
Elle réussit à garder le contrôle d’elle-même en se convaincant qu’elle était légitime à se trouver ici, mais elle ne put s’empêcher de trottiner à certains moments pour s’éloigner du parc, puis reprenant ses réflexes de voleuse elle grimpa sur une colonne et accéda à un petit toit, et jouant de son équilibre elle passa de toitures en toits terrasse.
La peur reflua.
Elle prit le temps d’observer autour d’elle.
A partir des toits elle aurait aisément eu accès à plusieurs appartements privés. Certains étaient animés, des gens discutaient calmement sur leurs terrasses quand d’autres étaient plongés dans l’obscurité.
Elle hésita à nouveau.
S’introduire dans la chambre d’une princesse ou d’un riche marchand ?
Puis elle se ravisa et finit par s’asseoir, elle ne l’avait pas remarqué jusque-là mais le ciel était splendide, trois lunes, Obsianne, Assasse et Waiss, renvoyaient la lumière des soleils dans cette nuit profonde.
Elle se sentait bien, en pleine possession de ses moyens, et bien que la nuit était avancée, elle n’avait pas sommeil. Elle chercha à se repérer dans cet enchevêtrement de bâtiments et de toitures. Si ses calculs étaient exacts, elle se trouvait légèrement en surplomb de leur appartement.
Un léger grincement se fit entendre, puis un profil sombre émergea de la bordure du toit. L’apprentie voleuse avait pris l’habitude de s’arrêter uniquement dans les zones sombres, et tapit, elle observa. Une silhouette se découpa dans le ciel, Ikys se recroquevilla, elle la reconnut aisément, c’était Atana.
Mais que peut-elle faire ici ?
L’Elfe salamandre se déplaça avec agilité sur les tuiles, d’un petit bon elle franchit une toiture et sembla bien décidée à prendre le large. Ikys, jouant de ses quatre pattes, la suivit à bonne distance.
Pourquoi s’enfuit-elle au milieu de la nuit ?
Alors qu’Atana s’apprêtait à franchir d’un nouveau bon une autre toiture, une silhouette blanche apparut sur sa droite et dans son dos. Elle se déplaçait avec une vitesse prodigieuse et sans un bruit. D’un éclair, elle assena un violent coup de pied sauté dans le flanc de l’elfe, celle-ci valdingua sur le côté, roula et alla s’écraser en contrebas sur une terrasse plongée dans le noir.
Ikys était sidérée par la violence de l’attaque, il lui fallut une dizaine de secondes avant de trouver le courage de se rapprocher. La forme blanche descendit d’un bond au niveau d’Atana et s’accroupit à son niveau. Elle lui prit quelque chose. Puis avec la même agilité extraordinaire elle regagna les toits et s’enfuit.
La petite Souris prit son courage à deux mains et se rapprocha de son amie, celle-ci était inconsciente mais respirait encore. Sans réfléchir Ikys se lança à la poursuite de l’assaillant.
S’il y a bien un domaine dans lequel Ikys était sûre d’elle, c’était dans sa capacité à se déplacer rapidement et furtivement sur tous types de terrain. Mais là, elle avait trouvé un adversaire à sa mesure, ce voleur était un acrobate hors norme et il fallut qu’elle puise dans toutes ses ressources pour réussir à s’agripper, bondir et se réceptionner pour parvenir à le suivre.
Dans leur course folle ils s’éloignèrent de la Principauté et, peu à peu, gagnèrent les zones rocheuses à l’écart de la ville.
Elle perdit sa trace.
Elle dû marquer une pause, hors d’haleine, et tendre l’oreille pour espérer le retrouver.
Elle était proche de la mer, le bruit du ressac lui parvenait, régulier, mais son oreille experte distingua un autre bruit asynchrone.
Il y avait quelque chose dans l’eau.
Elle grimpa sur un petit piton rocheux, reprit lentement son souffle, et scruta l’obscurité. Là, en contrebas il y avait quelque chose.
Une barque !
La silhouette blanche du voleur se découpait à proximité, ainsi que celle d’une créature de grande taille encapuchonnée et recouverte d’une cape sombre. Il lui sembla qu’ils parlaient, des bribes de discussion lui parvenaient mais leur échange se faisait à voix basse et probablement dans une langue qu’elle ne comprenait pas. Ils échangèrent des objets qu’elle ne put distinguer. Puis la grande créature remonta dans la barque et commença à ramer. Elle entrevu son visage, une face laiteuse aux hautes pommettes.
De première évidence tout cela ne pouvait avoir qu’une seule explication : la Boîte andrope venait d’être volée devant elle.
On ne vole pas Ikys aussi facilement !
Le voleur repartit dans les terres en empruntant un sentier sinueux qui longeait le relief où elle se trouvait.
Je dois savoir qui c’est.
Tremblante de peur, la Mismice se laissa glisser dans la pente rocailleuse puis d’un bon vigoureux atterrit sur le sentier, en face du voleur. Elle lui barra le passage du haut de son mètre quarante.
Le voleur ne sembla pas surpris, ou plutôt la voleuse, car c’est bien à une Femme hishkane que Ikys avait affaire.
“Tu te dévoiles enfin ! Je te félicite petite souris, ils ne sont pas nombreux ceux qui peuvent se vanter de pouvoir me suivre.
– Vous avez volé la Boîte ! Vous devez nous la rendre !
– Ça, ma belle, tu n’es pas en mesure de l’exiger.”
Blanche
La Souris fit un pas en avant ce qui provoqua un petit sourire narquois de la femme chat, laissant découvrir ses crocs.
“Ne soit sois pas stupide, tu n’as aucune chance.” Pour achever de la convaincre l’Hishkane fit miroiter la lame de sa dague.
“On doit remettre la Boîte aux Moines, c’est pour une bonne cause.
– Ma bourse vide est une cause tout aussi honorable, petite naïve.”
La Femme chat fonça vers la Souris et d’un élan vigoureux réussit à se propulser au-dessus d’elle. Elle retomba dans son dos et d’un coup de pied retourné expédia la Mismice contre la paroi.
Le choc fut violent et Ikys perdit connaissance.
Quand elle reprit ses esprits, il n’y avait plus personne. Sa première peur fut d’avoir perdu à nouveau une dent, mais le compte était bon, elles étaient toutes là.
Elle scruta l’horizon mais nulle trace de la barque. Plus aucun bruit, la voleuse s’était enfuie.
Elle était frustrée, elle avait été à deux doigts de réussir, mais malgré son échec elle ressentit une certaine satisfaction à avoir tenu tête à une voleuse de cet acabit.
Mais une autre pensée l’accabla et recouvrit tout.
Comment est-ce que je vais expliquer ça à Phoros ?
Clunk – Sixième jour – Kal – La nuit
Phoros tira une longue bouffée sur sa pipe et recracha la fumée dans le réduit du fond de cale surchauffée où se trouvaient les deux comparses. Avachi dans un hamac le Vieux chien se balançait lentement en suivant le roulis du bateau. Ses doigts jouaient avec le pommeau de son épée.
“Comment ont-elles pu désamorcer tes pièges aussi facilement, Tête de ferraille ?”
Cinq fois qu’il aboie la même question, Cyb sénile.
“Parce que l’pièges étaient faits contre les voleurs du dehors, pas contre nos voleuses du dedans”.
Les questions du Vieux clebs agaçaient Clunk, avoir perdu la boite agaçait Clunk, et cette maudite horloge sur laquelle s’acharnait le Graille dans cette chaleur suffocante acheva de l’énerver. Il aimait bien Phoros, il pourrait même dire maintenant que c’était son meilleur ami, son plus fidèle compagnon. Mais parfois il lui tapait sur les nerfs.
Accroupi sur le plancher de bois, il assena deux coups secs de marteau sur la petite horloge.
“Cuisson à l’étouffée ici, pire que les Forges de Phispile.
– C’est l’orage, on évite la tempête mais on va perdre encore un peu plus de temps…”
Clunk avala une rasade d’une décoction d’épices de Sinchi.
“On aurait pas dû détaler ventre terre, la Boîte est encore ci-là.
– Pas sûr, la souris a parlé d’un homme sur une barque. Elle ment souvent, mais à ce sujet je la crois. A mon avis la nuit même la Boîte voguait déjà loin de Trénise. De toute façon cet imbécile de Grabelin nous a dénoncé comme comploteurs, on commençait à attirer l’attention et ça n’allait pas rendre service aux Moines.
– Les Moines s’ront déçus, not’ besace vide.
– On est mal embarqué mais je n’ai pas dit mon dernier mot, Atana a promis qu’elle ferait jouer ses relations à Entimichiopolis.
Clunk cracha par terre : Vile menteuse et voleuse !
– Probable, mais il ne nous reste pas beaucoup de cartes en main.
– Tu donnes encore sang-juré ?
– Non, son charabia disant qu’elle a cherché à protéger la Boîte en la mettant à l’écart avant l’attaque des voleurs me paraît fumeux. Elle aurait dû nous prévenir. J’ai de sérieux doutes.
– Fuite sous lunes pleines avec Boîte, c’est une vérité-sûre.
– Oui, mais elle revenue à l’appartement et elle est toujours là. Elle aurait pu partir.
Le Graille cracha à nouveau : Ruse de lézard.
– Arrêtes de cracher, on va dormir ici !”
Clunk cracha encore.
Perd ma salive pour des plumes de Burstaf.
Perd ma salive pour des pièces de métal.
Clunk avait quitté les Montagnes d’Ore voilà de nombreuses années, c’était la tradition chez les Grailles, le dernier né de chaque famille prenait la route et offrait ses compétences d’artificier au plus offrant. Il était libre de ses choix mais devait revenir régulièrement à sa cité-mine pour rapporter des richesses et des nouvelles du monde.
Il but une autre rasade.
Il retournait de moins en moins souvent chez lui, plus personne ne l’attendait.
Le Chien reprit : Il y a quelque chose qui m’échappe…
Ce qui est sûr c’est que les Moines nous ont trouvé deux coéquipières de choc, la petite Rate ne vaut pas mieux.”
Encore une réflexion qui contrariait le Graille.
La Salamandre est une fourbe-maître, Ikys est une voleuse mais pas noueuse.
A nouveau, deux coups de marteaux pour tenter de redresser un engrenage qui visiblement ne tournerait plus jamais rond.
“Petit museau en furetage chez les richards, voleuse qui frotte les crocs. C’est la Femme lézard qu’t’aurait dû punir, trop dur avec la gamine.
– Briquer le pont du navire et aider en cuisine ça ne peut pas lui faire de mal. C’est comme ça qu’on apprend.
– On apprend rien en pluchant des carottes.
– Si, à se taire. Tu l’aimes bien cette gamine, finalement ?
– Et toi tu blaires pas sa truffe !
– Sa truffe oui, tu fais bien d’en parler. Blanc, tu te rappelles de l’indice divinatoire des Moines ? Blanc. C’est exactement la couleur du museau de la Mismice.
– Foutreries ! Tu vieillis Vieux clebs. Blanc du blanc de la voleuse, faille ci-là !
– Mouais. Si tu le dit. Une Hishkane habillée en blanc… Elle a attaqué avant qu’on ne l’ait vu, tu parles d’un indice.”
Le Cyb recracha un long panache de fumée. Il se gratta le ventre et saisit une bestiole entre son pouce et son index. D’un coup de pouce il la propulsa dans sa gueule et fit claquer ses crocs.
Clunk : “Pleine-juteuse ?
Phoros : Non trop jeune. Tu t’en sors avec ta breloque ?”
Des coups de marteaux frénétiques firent office de réponse.
Phoros se pencha légèrement en avant.
“Ce ne serait pas la petite horloge qui se trouvait dans l’appartement à Trénise ?
– Mêles toi de tes puces !
– C’est peut-être pour ça que tu l’aimes bien la petite voleuse, qui se ressemble…”
Clunk, lança un regard noir à Phoros, puis afficha un large sourire.
Le vieux Cyb rigola.
“ Elle s’est trouvé un maître à la hauteur de ses ambitions.
– Les Moines ont plan-vision, utile petit museau.
– Si tu le dis.”
Le Chien loupa une autre puce, tira une bouffée de dépit, puis reprit.
“A Entimichioplis nous allons tomber en plein carnaval. Atana sera comme une Salamandre dans le sable et nous saurons assez vite si elle est de notre côté ou si elle joue une autre partition.”
Le Graille avala une rasade.
Clunk pointa son œil avec son doigt : “Œil de la Forge veillera.
– Toi, garder un œil ouvert pendant un carnaval ? Ce serait bien la chose la plus incroyable de ce voyage.”
Clunk bascula le fond de son godet.
“Promesse de dernière goutte, je serai sec comme le cœur d’Istienne”
Phoros – Septième jour – Quih – Midi
Les deux soleils étaient au zénith.
Malgré la lumière éblouissante que diffusaient ces deux astres, un autre éclat de couleur jaune se remarquait dans le ciel : l’étoile de Quih.
Sur le pont avant de la large jonque de la principauté, le capitaine du navire, peau tannée et crocs foisonnants, s’adressa à Phoros : “C’est un jour très particulier pour les habitants d’Entimichiopolis, Quihin diffuse tout son amour et son abondance à travers cette étoile, les festivaliers vont venir par millier.”
La mer était parfaitement lisse et il faisait chaud, les traits incandescents des deux soleils dardaient toutes les créatures vivantes qui les bravaient.
Le navire glissa sans tanguer en direction d’un des nombreux pontons de la ville. Il n’y avait pas à proprement parler de port officiel car Entimichiopolis, au fil des saisons, voyait s’agréger de nombreux navires, plateformes et autres péniches qui, amarrés les uns aux autres, finissaient par former de véritables quartiers.
Atana se tenait à la droite du vieux chien, elle avait retourné sa cape, de vert à rouge, et laissa découvrir des broderies fines et complexe. Sous son large chapeau son visage finement maquillé était froid et inexpressif. Phoros ne sut décrypter cette expression.
Elle a l’air déterminée, mais à quoi ? Elle va peut-être essayer de se racheter, ou alors parachever sa trahison dans un plan que je ne comprends pas.
Elle rompit le silence : “Je n’ai jamais vu le port atteindre cette taille, ça va être un véritable labyrinthe. Le point positif c’est que certaines personnes qui pourraient nous donner des informations seront peut-être là. Il faut que je prenne contact.
– Il ne faut pas qu’on s’attarde trop ici.
– A quoi bon retourner rapidement au Sanctuaire des comètes ? Nous avons perdu la Boîte. Nous pourrions apprendre des choses utiles ici.”
Il hésita à la relancer, mais leurs derniers échangent furent lapidaires, elle s’était fermée. Il ne lui restait qu’à lui faire confiance.
Ikys et Clunk finirent par les rejoindre à la proue du navire, la petite Souris affichait une mine piteuse et contrite, cette courte traversée faite de corvées l’avait visiblement éprouvée.
Tout l’inverse du Graille qui à la vue de la préparation des festivités affichait un sourire fait de béatitude et d’envies mal contenues.
Le Capitaine : “Nous allons devoir rester à bonne distance des quais, notre navire est trop large pour se risquer dans un tel fatras. Une chaloupe va être mise à l’eau pour vous débarquer.”
La jeune Souris qui était restée à bonne distance du vieux Cyb se risqua à une question : “C’est une ville ?”
Atana lui répondit : “Pas vraiment. Ce que tu peux voir aux sommets de ces colonnes de roches, ce sont des sanctuaires, lieux de culte pour les dieux. Le grand bâtiment massif que l’on peut deviner est un temple d’Entimichi, il est très ancien. Le reste n’est que provisoire, quand la garnison d’Octore fait des raids pour lutter contre la piraterie tout est démonté en quelques heures et chacun prend le large.”
Phoros observa ses compagnons et ressentit une certaine lassitude. Pas question pour lui de s’épuiser à les surveiller tous. Il avait été convenu qu’Atana partirait avec la jeune Souris pour rencontrer certains de ses contacts et espérer en apprendre plus sur l’attaque dont ils avaient été victimes. Il ne pouvait que se résoudre à lui faire confiance et elle aurait la responsabilité de la jeune Souris dans ce lieu rempli de tentations.
Bon courage à elle.
Quant à son vieux compagnon, il ne se faisait guère d’illusion. Dans moins d’une heure, il serait ivre comme un prospecteur Gamelin qui aurait découvert un nouveau filon.
Toutes les deux heures il avait été convenu qu’ils devaient se retrouver au pied du temple de Guerda, situé au nord, et qu’ils prendraient la route pour le Sanctuaire des comètes avant la nuit.
La chaloupe fut mise à l’eau et après avoir remercié le capitaine et son équipage ils partirent en direction du carnaval.
***
Comment a-t-il pu être aussi naïf ?
C’était la troisième fois qu’il venait au rendez-vous et toujours personne…
Six heures qu’il n’avait pas vu la moindre trace de ses compagnons. A peine avaient-ils mis pied à terre qu’Ikys et Atana partirent à la rencontre des amis de la Salamandre, et que Clunk avait le nez dans un gobelet d’alcool… La chaleur étouffante et la foule furent les signes précurseurs d’une journée qui s’annonçait difficile.
Il sirota quelques boissons exotiques en compagnie du Graille puis ce dernier prétexta avoir une course urgente à faire pour des ingrédients rares nécessaires à l’une de ses préparations explosives. Il se donnèrent rendez-vous deux heures plus tard.
Evidemment, personne ne vint.
Il se résolut à partir à leur recherche, sachant pertinemment que dans ce dédale surpeuplé c’était aussi rationnel que d’espérer la paix en Paludries.
Il finit par déboucher sur une large esplanade dominée par le principal bâtiment de la “ville” : le temple d’Entimichi. Une architecture large et massive faite de grandes pierres de taille noires. A son sommet, telles des gargouilles, on pouvait distinguer de nombreux visages sculptés tous aussi différents qu’inexpressifs.
Les mille visages d’Entimichi.
Phoros fut surpris de constater que, malgré le festival, les lourdes portes du temple étaient fermées, sans aucun adepte ou garde à son entrée. Comme si la déesse boudait son propre carnaval, à moins qu’elle ne préfère y participer à sa manière, d’une façon plus discrète…
La place à l’avant du temple se distinguait par un calme relatif contrastant avec l’agitation des autres rues. Le vieux Cyb prit le temps d’observer un spectacle de Mismices et d’Hiskans perchés sur des échasses, chacun jouant le rôle de l’autre, Chats déguisés en Souris et Souris déguisées en Chats. Ils s’amusaient à faire exploser des pétards, simulant ce qu’il comprit être comme une scène de chasse, ou d’amour, il n’était pas très sûr. Il ne comprenait pas leur langue.
Il s’engouffra dans une ruelle bondée et s’avança au-delà de nombreux carrefours. Prit dans la foule il n’était plus sûr de savoir s’il marchait sur la terre ou sur des pontons, seul le craquement de certaines planches vermoulues et les effluves marines pouvaient le renseigner à ce sujet. Dans un boyau encore plus encombré que les autres il fut submergé par des odeurs d’encens, et accablé par la chaleur et les parfums enivrants qui lui firent tourner la tête.
Il suffoqua.
Les faces masquées se succédant il crut apercevoir des visages de son passé.
Katiana ?
Il dû se dégager vigoureusement pour retrouver un peu d’air, et quand il eut retrouvé ses esprits il constata qu’à ses pieds, entre des planches disjointes, de l’eau était visible.
Il reprennait peu à peu son souffle, la chaleur le plongeait dans une torpeur moite. Vide, il observait face à lui un navire tanguait légèrement.
L’air marin lui permit de retrouver ses esprits, il entreprit à nouveau de partir à la recherche de ses compagnons et gagna, parfois en jouant des coudes, une large plateforme qui faisait office de marché.
Les festivaliers de cette place portaient des costumes et des masques encore plus exotiques que ce qu’il avait pu voir jusque-là. Jais déguisé en Grue dryade, Kobolds en Gobelins grailles, une Femme pieuvre et ses Griffons affublés d’uniformes de pilote zeppelin, un Grache gigantesque à masque de souris, des Gobelins grenas qui singent des Nains korbs sur le chemin de la guerre, …
C’était toutes les créatures de Settak qui étaient représentées en cet endroit. Par le jeu des masques cela donnait une impression de multitude infinie, chacun jouant à être l’autre. Phoros compris à cet instant pourquoi les adorateurs d’Entimitchi organisaient cette grande fête, pour rendre grâce à la déesse aux multiples visages.
Au centre de la plateforme tournait un carrousel, sorte de manège sur lequel des visages riants, sarcastiques, pleurants, tous très expressifs, tournaient lentement. Une attraction qui connaissait un franc succès surtout auprès des enfants.
Sur l’un des côtés de la place une clameur se fit entendre, puis un brouhaha, la foule se fendit, quelques cris de peur stridents retentirent.
Un fouet claqua et des créatures effrayantes finirent par émerger au centre de la place.
Par réflexe Phoros saisit le pommeau de son arme. Des Causteurs brandissant des épées et des tridents se mirent à tourner frénétiquement autour du carrousel, ils firent démonstration de leur arsenal et donnèrent des coups sur les fesses et cuisses des festivaliers du plat de leurs armes.
L’effet de surprise passé, il fut aisé de reconnaître les Cybs et Faunes qui se cachaient sous les déguisements grossiers. Le Vieux chêne rit de lui-même de s’être laissé prendre par cette mascarade.
Les gens finirent par comprendre eux aussi la supercherie et s’amusaient maintenant à contrer les faux envahisseurs en cherchant à les faire tomber, mais même les plus téméraires reculaient vivement dès que les fouets claquaient.
Porté par les flux et reflux amusés des festivaliers Phoros se retrouva collé à l’étal d’un pauvre marchand qui n’avait pas anticipé autant de tumulte. Il cherchait tant bien que mal à rassembler et à protéger ses articles de déguisements et antiquités. Le Vieux chien l’aida comme il le pu dans cette tâche et voulant rattraper une étagère qui menaçait de se renverser il réceptionna une longue vue sur le point de s’écraser au sol.
Cette scène lui donna une impression de déjà-vu, quelque chose d’inattendu qui tombe d’une étagère…
Cela lui donna une idée et, en échange d’une pièce d’argent, il prit la longue vue.
***
La nuit était maintenant tombée, une certaine fraîcheur due aux entrées maritimes se fit ressentir et sembla apaiser la foule.
Mais toujours personne au lieu de rendez-vous…
La prochaine fois je les attache au ponton, et je pars seul profiter du festival.
Il se décida à se servir de la longue vue, du sommet de la colonne rocheuse où se trouve le temple de Guerda il pourrait observer les environs. Il connut des difficultés pour accéder à l’étroit escalier en colimaçon, une chariote de vendeurs de feux d’artifice tirée par quatre gros rats, des Rizzes, barrait à moitié l’entrée. Mais une fois gravis les huit mètres du temple-colonne l’idée s’avéra judicieuse. De son poste de vigie il pouvait voir les nombreuses artères d’Entimichiopolis et l’intérieur d’autres temples au sommet de leur dolomite. De plus, Guerda, déesse des opprimés et du Temps n’attirait pas beaucoup de fidèles en cette soirée, ce qui lui permettait de se déplacer aisément aux quatre coins du temple, bordé d’arcades ouvertes et orné de simples statues de bois, et de multiplier les points de vue.
Il ne lui fallu qu’une dizaine de minutes pour retrouver sa première compagne.
Atana était dans un autre temple à une soixantaine de mètres de là. A en juger par les tenues très légères de ses occupants il comprit vite que ce devait être un temple dédié à Quihin, dieu orgiaque de l’abondance et de l’amour. De poils et de crins, il ne s’attarda pas, par pudeur, sur les scènes débridées qu’il voyait et se focalisa sur la Salamandre.
Elle tenait par la taille une grande créature androgyne à la tenue argentée qu’elle n’avait de cesse, entre deux rires, d’embrasser passionnément.
C’est donc ainsi qu’elle “prend contact”…
Un instant le Vieux chêne envisagea d’aller la chercher mais il se découragea à la vue de la foule assemblée dans les rues.
Le temps que je m’y rende elle aura changé d’endroit…et de partenaire.
Il continua à scruter les rues et ne tarda pas à découvrir son comparse préféré, tête de rouille, en train de verser des fioles dans une grande marmite en compagnie de ce qui semblait être des Gobelins masqués.
Une explosion de fumée jaillit de la marmite, le Graille recula en titubant et parti d’un rire tonitruant qui le plia en deux.
Il l’avait déjà vu dans cet état.
Toi, Vieille pince, tu n’en as pas pour longtemps avant de t’effondrer dans un coin.
Capitalisant sur ses deux premiers succès il trouva rapidement la troisième. Il vit Ikys fureter et rôder aux abords de la place marchande où il se trouvait dans l’après-midi. A son attitude il comprit qu’elle avait flairé quelque chose. Quelque chose de blanc, pour être précis : une Hishkane en tenue immaculée descendit du carrousel aux visages.
Malgré la distance il fut plus perspicace que la souris et comprit avant elle que cette Hishkane était en fait une Cyb déguisée.
On ne trompe pas un vieux chien à ce sujet.
Il s’amusa à observer la déconvenue d’Ikys quand elle s’approcha suffisamment de la fausse Hishkane pour comprendre son erreur : ce n’était pas la voleuse de la Principauté. Il fut quelque peu rassuré car la Mismice semblait encore concernée par leurs objectifs communs, ce qui apparemment n’était pas le cas des deux autres. Une joie de courte durée car Petit museau essaya voler une bourse à un grand Grache, assez habillement il faut le dire, mais elle ne tarderait pas à s’attirer des ennuis si elle jouait au pickpocket dans cette ville bien trop grande pour elle.
Si tu dois en passer par là pour apprendre…
Il en avait assez vu, il replia la longue vue et se décida à aller chercher ses amis avant que la situation ne lui échappe complètement.
***
Minuit.
Le passage du jour de Quih au jour de Wa fut l’apogée des réjouissances. Des pétards explosaient dans tous les coins du carnaval, feux d’artifices et danses collectives.
Phoros se laissait porter par les réjouissances et dansait avec les festivaliers.
J’espère que les Moines ne voient ça pas a à travers un de leur tour de magie.
Il chassa cette pensée, et malgré le fiasco de leur entreprise se rassura en se disant qu’il avait fait de son mieux.
Et qu’il n’était franchement pas aidé.
Après être descendu du temple de Guerda il avait arpenté le temple de Quihin, retrouvé les Gobelins auprès de leur marmite et questionné les commerçants de la plateforme au carrousel, mais nulle trace de ses amis aventuriers. A croire qu’ils se cachaient exprès.
Las, il s’abandonna aux joies du festival, et même s’il refusa fermement le contenu poisseux de la marmite des Gobelins, il goutta des boissons colorées et tira quelques bouffées sur une chicha d’un clan Istien.
Une animation attira son attention. Sur une large place au sol sableux emplie de carnavaliers joyeux, se trouvait une statue d’environ cinq mètres à l’effigie d’un Garde pourpre, un Korb rhino aux contours imprécis. Fait de branchages et de tissus on le reconnaissait surtout grâce aux couleurs et aux armoiries de la Garde.
Dans un premier temps il fut vexé par cette caricature grossière.
Sans la Garde vous seriez déjà tous en train de vous entre-tuer, bande de sauvages.
Il était un ancien officier de l’Ordre, et quand il vit arriver une procession bigarrée d’Istien, singeant Megs et pirates, prêts à mettre le feu à la statue, son sang ne fit qu’un tour. Il agrippa le pommeau de son épée et peina à contenir des grognements de protestation.
Sous les vivats de la foule, l’effigie s’embrasa en une immense torche.
Il était prêt à mordre.
Les gens hurlaient. Mais ce n’étaient pas des cris de haine, mais une manifestation de joie et de libération.
Sa colère se dissipa, tout cela n’était que l’occasion de se moquer de l’autorité locale. La garnison d’Octore jouait à l’Hishkan et au Mismice avec les Istiens depuis des décennies dans ce secteur. Il prit soin de camoufler le pommeau de son épée qui pourrait être repéré par un œil avisé. Il attrapa un gobelet sur un coin de table et ajouta ses jappements aux chants ambiants.
C’est alors qu’une petite troupe émergea sur la place, il crut d’abord à des déguisements, mais il réalisa qu’il avait face à lui les seules personnes en tenue officielle de cette nuit de carnaval : des Gardes pourpres. Une demi-douzaine de fraîches recrues encadrées par un lieutenant.
Comme des Cybs dans un jeu de quille.
La première réaction de la foule fut de se taire et de faire face aux Gardes. Un silence pesant s’installa tandis que la statue cendreuse finissait de s’effondrer sur elle-même en un grand tas de braises.
L’officier, un petit Cyb à tête de bouledogue, qui avait du mal à cacher son désarroi, prit une décision hasardeuse : il ordonna à ses hommes de dégainer leurs armes et se mit à invectiver la foule : “rébellion”, “ivrognes”, “pirate”, “la fête est finie”.
Une réaction stupide qui eut pour conséquence immédiate de faire basculer cette populace de joyeux carnavaliers en horde insurrectionnelle.
Il eut pitié de ses anciens compagnons, cela lui rappela sa première intervention dans une manifestation, en Brétignes, où il finit couvert de lisier. Mais les aboiements frénétiques du Bouledogue achevèrent de l’exaspérer.
Il avait juste à passer sans rien dire. Et maintenant il a un début d’émeute sur les bras à un contre cinquante.
A bien regarder le visage du Lieutenant, il finit par se souvenir : lors de sa dernière affectation à la garnison d’Heniocarnisse, il était ce jeune aspirant officier plein de morgue et d’autorité absurde.
Les chiens restent des chiens.
Des objets de toutes sortes commencèrent à pleuvoir sur la petite troupe, qui riposta en jetant des fioles gazeuses. Un projectile explosa aux pieds du Vieux chêne et il fut pris d’une vilaine quinte de toux. Opportunément, un étal de Cromels juteux, des agrumes d’Istia, se trouvait à proximité et fut dévalisé en un instant. Phoros eu la chance de saisir l’un des plus gros et l’expédia en plein dans le visage du lieutenant.
Tu l’as pas volé celle-là !
Il exulta, puis fut saisit de honte.
Un lieutenant tout de même.
Puis il partit d’un rire nerveux.
Karmacano me pardonnera, c’est carnaval !
Les Gardes reculèrent et finirent par prendre piteusement la fuite devant le nombre grandissant des opposants.
Leur débâcle fut fêtée telle une réelle victoire sur de féroces envahisseurs.
Phoros, zigzaguant au milieu de ces fiers combattants, en profita pour s’éclipser.
Désœuvré, titubant, il reparti en direction du lieu du rendez-vous. Il était tard et l’ambiance commençait à changer, des éclats de voix se faisait entendre de ci de là, des rires avinés et des débuts d’altercations.
Une en particulier retint son attention, un groupe d’humains agressifs commençait à en venir aux mains avec deux Griffons, un Nain korb et une femme pieuvre – une Kroctone -.
Bien qu’il les observasse de loin, la Kroctone se figea quand elle l’aperçut, avant d’être emportée à nouveau par le tourbillon de l’échauffourée. Son regard lui laissa une détestable impression, il s’échappa à nouveau et rejoignit finalement le temple de Guerda.
Ces trois-là ne sont pas là par hasard.
Arrivé au pied du temple il fut ravi de découvrir son vieux compagnon effondré dans la charrette des artificiers tirée par les Rizzes. Il cogna sur le casque du Graille – Prêt au départ Vieille rouille ? – mais il n’obtint comme réponse qu’un vieux grognement d’ivrogne.
En voilà un ! Pas sûr qu’il ait obtenu beaucoup de renseignements utiles…
“Phoros !”
Il reconnut la petite voix d’Ikys. Une voix plus aiguë qu’à l’habitude.
“Phoros ! Je suis contente de te voir ! Il ne faut pas qu’on reste ici, je crois que j’ai fait une bêtise.
– Tiens donc, une bêtise et de quel genre ?”
Avec empressement, la souris lui mit dans les mains une dague ouvragée.
Phoros dessoûla d’un coup : “Mais où est ce que tu as trouvé ça, ne me dit pas que l’as volée ? Tu sais ce que veulent dire ces symboles ? Ça appartient à un Nazariote. Il ne faut pas rigoler avec ces gens-là !
– Oui ! Enfin non, ce n’est pas ce que tu crois, c’est un malentendu.
– Et Atana, où est-elle ? Vous étiez censé rester ensemble ? Elle a pu obtenir des informations ?
– C’est la Guilde des Voleurs qui nous a volé la boîte, une certaine Blanche, l’Hishkane. Mais il y a un commentaire. Ce n’est pas pour elle.
– Un commentaire ? Un commanditaire tu veux dire ?
– Oui
– Qui ça ?
– Je ne sais pas. J’ai perdu Atana. Phoros, ils sont là ! Ils arrivent !”
Le Cyb comprit immédiatement de qui elle parlait, un Arpanyre – un Homme faune – déguisé en fidèle de Panug, torse nu, et un imposant troll varan déguisé en korb gardien de prison, fondaient sur eux.
Il était clair qu’ils n’étaient pas là pour discuter, le Vieux chien attrapa la souris par le col et la précipita dans l’entrée du temple, ils gravirent quatre à quatre les marches de l’escalier en colimaçon poursuivis de près par l’Arpanyre et son gigantesque comparse, ce dernier semblait avoir du mal à s’engouffrer dans l’étroite ouverture. Le Nazariote dégaina une épée courte et rattrapa Phoros qui peinait à monter aussi vite que la Souris dans les escaliers. Il dû se retourner pour parer les attaques furieuses et il fallut que Phoros recoure à tous ses talents de bretteur pour réussir à gagner le haut de l’escalier sans se faire lacérer.
Alors qu’il venait juste de prendre pied dans la salle haute du temple il se fit vivement entailler la cuisse gauche par la lame affûtée de l’assaillant ; heureusement pour lui la Souris avait eu le temps de rapprocher une statue de bois à proximité de l’escalier et la bascula dans les marches.
L’Arpanyre fut surpris et emporté par la statue.
Ce fut un court répit que le vieux Cèdre mit à profit, il agrippa à nouveau la Mismice et fonça vers une des arcades. Le chariot se trouvait juste en dessous.
Huit mètres, au bas mot.
Un saut des plus risqués mais beaucoup moins que d’affronter les deux furieux qui étaient en train de se dépêtrer avec la statue dans les escaliers.
Telle une apparition divine, Phoros fut soulagé de découvrir Atana qui se trouvait à proximité du chariot et leur faisait signe de sauter.
Un miracle ! Merci Guerda !
Ikys l’agrippa : “Phoros, regarde, une comète !
– On n’a pas le temps pour les étoiles…”
Malgré l’urgence de la situation, il resta figé une seconde.
Ce n’est pas une comète, c’est une chute de Boîte Andrope. Plein nord.
Il enregistra cette information dans un coin de sa tête, attrapa la souris et sans réfléchir ils se jetèrent dans le vide.
Par chance ils tombèrent en plein milieu de la charrette sur des sacs remplis de petits pétards.
Ils eurent à peine le temps de se remettre sur pied, qu’Atana, bien consciente de la situation, s’activait déjà à faire avancer les Rizzes.
Malgré toute cette agitation Clunk ronflait de tout son saoul.
Phoros qui avait eu le souffle coupé par la chute peina à se faire entendre : “Au nord, il faut fuir avant qu’ils ne reviennent.”
La Salamandre tira sur les rênes et donna de la voix, le chariot se mit en branle.
Ikys s’inquiéta : “Mais à qui est ce chariot ?
Phoros : Peu importe, on le vole pas, on l’emprunte !
Atana : Regarde plutôt ce qu’il y a dans les sacs et sers toi de ça.”
L’Elfe lui jeta une petite boite d’allumette.
Ikys passa ses mains dans un sac et resta perplexe : “Des pétards, mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec ça ?”
A ces mots le troll et l’Arpanyre débouchèrent de l’entrée du temple et se lancèrent à leur poursuite, bousculant des passants qui ne souciaient guère de cette agitation.
Phoros comprimait la plaie de sa jambe et grogna : “Essaie de convaincre tes nouveaux amis de ne pas venir avec nous”
Ikys réagit enfin et piochant au hasard dans l’un des sacs elle saisit un pétard, l’alluma, et le lança contre les poursuivants.
L’artifice tomba aux pieds des Nazariotes et fit un “paf” ridicule.
Atana et Phoros hurlèrent en cœur : “Plus gros !”
Petit museau se saisit d’une grosse fusée et tenant fermement la perche de lancement alluma la mèche.
Le résultat fut spectaculaire, même s’il eut pour effet de brûler durablement les moustaches de la Souris : dans une gerbe d’étincelle la fusée tournoya et parti en direction des poursuivants avant d’exploser à leur hauteur.
Une magnifique explosion bleutée.
Il y eu même quelques applaudissements.
Les poursuivants étaient sonnés.
Un peu plus loin, profitant de cet avantage, Atana descendit du chariot et sectionna les cordes qui tenaient assemblée les planches d’un ponton.
Franchissant les dernières tentes et campements du rassemblement, ils s’enfoncèrent dans la nuit en direction du nord.
Atana – Huitième jour – Wa
La charrette tractée cahin-caha par les Rizzes progressa dans la nuit en suivant une piste qui longeait la rivière Olto en direction du nord, comme l’avait demandé Phoros, en direction, surtout, du Sanctuaire des comètes.
Un bois dense d’épineux bordait la route en terre, limite méridionale de la vaste forêt qui couvrait l’ensemble du territoire de Karfieh.
Après s’être assuré d’avoir définitivement faussé compagnie aux Nazariotes, ils firent halte et Atana prodigua des soins d’urgence au vieux Cyb. La plaie était longue mais heureusement peu profonde. Phoros avait toutefois perdu du sang et ses traits tirés trahissaient une profonde fatigue. Une fois bandé, il finit par s’endormir aux côtés de la jeune Souris, bercés par les ronflements ininterrompus de Clunk.
À l’approche de l’aube une pluie fine se mit à tomber, ce voyage nocturne à veiller sur ses compagnons fut l’occasion pour la Salanonaire de mettre de l’ordre dans ses idées.
Elle fut heureuse de revoir plusieurs de ses vieux amis lors du festival mais elle n’en apprit pas autant qu’elle l’avait espéré. Blanche, voilà le nom de la voleuse au service de la Guilde des voleurs qu’il l’avait assommé sur les toits de la Principauté de Trénise. Cette Hishkane était bien connue des milieux de l’ombre. La Guilde agit pour ses propres intérêts mais aussi sur contrat et d’après Oltaha la Luffe elle avait été missionnée par les Sœurs silence.
Voilà qui donnait une toute autre dimension à ce vol.
Les Sœurs jouaient à un autre niveau, plus politique, et ce n’était pas, comme elle s’en doutait, un simple vol d’opportunité. Le commanditaire de cette attaque restait mystérieux même si son identité commençait à se préciser.
Blanche, un nom qui collait parfaitement à la “faille divinatorielle” des Moines.
Se méfier de ce qui est blanc.
Tout cela paraissait trop évident et surtout parfaitement inutile maintenant que le vol avait été commis.
Depuis la révélation de cette “faille” par les Moines elle cherchait à comprendre et ses réflexions l’amenèrent à soupçonner en premier lieu Toresse, dans sa jeunesse on l’appelait “Dame blanche”.
Mais cette Dame blanche-là n’aurait jamais trahit ses amis.
Une idée qui lui faisait honte maintenant.
Je m’excuse Toresse de t’avoir soupçonnée.
Après la disparition de son amie ses soupçons se reportèrent sur Clunk et Phoros, le premier a des traces de peinture blanche sur le casque et le Vieux chien est couvert de poils blancs.
Maigres preuves.
Elle n’avait, à vrai dire, qu’une confiance modérée en ces deux baroudeurs et cette histoire de “faille” lui permettait de se méfier d’eux un peu plus.
Je me suis laissée aller à une solution de facilité, j’aurais dû continuer à chercher.
Quand elle aperçut une ombre blanche lors de leur rencontre dans les sous-sols de la Principauté avec Arrocar, elle sut qu’une attaque se préparait. Elle décida de mettre, seule – car elle ne faisait pas confiance à ses acolytes -, la Boîte en sécurité, mais elle avait mal joué. Elle aurait probablement dû rester dans l’appartement et prévenir les autres, l’Hishkane avait un coup d’avance et sa fuite fut un échec.
J’ai perdu la boîte et la confiance de mes compagnons.
Si Phoros et Museau disent vrais, une Boîte Andrope est tombée dans les environs.
Nos chances sont minces mais je ne me ferais pas avoir aussi facilement cette fois.
A l’aube, elle quitta la piste et s’enfonça dans les bois, lorsqu’elle eut trouvé un lieu discret, elle s’arrêta, réveilla les dormeurs et un bivouac s’organisa.
La collation fut frugale, et froide. Des restes de racines de Jan de Clunk et quelques baies noires qu’elle avait cueillies. Phoros leur interdit de faire du feu. Malgré l’heure matinale, il y eu à nouveau une altercation entre le Cyb et la jeune Mismice, à propos de la dague des Nazariotes cette fois ci.
Vieux chien et jeune souris… il faut dire qu’elle fait tout pour le rendre fou.
Elle nia avoir volé la dague, elle l’avait d’après ses dires trouvée sur un tonneau. Une affirmation soutenue à tue-tête qui mit Phoros hors de lui, il eut même un élan de violence envers la jeune Souris : il se releva d’un bon prêt à fondre sur elle mais dû se rasseoir immédiatement à cause de sa blessure à la jambe. Jurons et grognements plaintifs. Ce fut Maitre Clunk qui coupa court à la dispute, il n’avait rien suivi des évènements de la nuit mais se réveilla de fort bonne humeur, visiblement satisfait de son carnaval.
“Claque bas ! Arrêtez vos chamailleries ! S’il y a une Boîte dans le coin on va l’trouver et l’ramener aux Moines.” Se disant il leur servit leur maigre pitance.
Phoros resta allongé en ruminant tandis qu’Ikys partit, vexée, dans les bois.
La pluie cessa.
Clunk : “Quel pli pour les rats ? Un chariote de cette taille passera pas dans l’bois et l’piste c’est le coup’gosier assuré”.
Le Graille avait raison, sans compter que leurs propriétaires devaient être à leur recherche.
Atana : “Détachons-les, ils retourneront d’eux même à leur lieu de départ.”
Après avoir détaché les Rizzes, Clunk s’affaira à assembler un petit matériel de cuivre qu’il sortit d’une de ses profondes sacoches.
“Allez, Vieux clebs, parle nous de cet’comète de festival.
– Ce n’était pas une comète, une chute dans le ciel, rapide et teintée de rouge.
– Au nord ? Comment que tu sais ?
– Je n’étais pas plein comme une vieille barrique hier soir, contrairement à d’autres. Elle est passée juste à gauche de l’étoile de Quih, et proche de la lune noire. Légèrement à sa droite. Autrement dit, au nord.”
Le Graille ajustait son instrument. Cela paraissait complètement improbable à Atana qu’il puisse tirer des indications précises d’informations aussi vagues.
“ Durée de chute ?
– Aussi rapide qu’un Graille ivre qui tombe dans une chariote à pétards.
– Je t’ai connu plus joueur en carnaval. Tu vieillis vieux chien. Langue pendue mais crocs usés.
– J’ai passé la nuit à vous chercher et j’ai fini par me faire taillader par les amis de Museau, donc non, je n’ai pas apprécié cette guignolerie déguisée.
– T’as goûté de ma potion ? Regarde la bête, je suis en ébullition-fusion ce matin.
– Plutôt mourir que boire ton jus de poiscaille.
– Allez ! Fini d’grogner. Durée de chute ?
– Mais comment veux-tu que je sache ? On était au sommet d’une tour, prêts à sauter dans le vide avec deux assassins à nos trousses.
Le Graille cracha : Aucun effort nul ! ”
Clunk continuait les réglages de son appareil quand Ikys émergea du sous-bois.
“Il y a de la musique.”
Phoros allongé au sol peina à se retourner : “De la musique, ici ?
Atana : Quel genre de musique ?
Ikys : Je ne sais pas, on dirait comme un air de flûte.
Clunk : Si l’cor sonne dans le fond d’bois, prend ta bonbonne et sauv’ toi.
Atana : Rassemblez vos affaires et allons voir, mais prudence.”
Ils s’enfoncèrent dans les bois, si jusque-là la faune et la végétation leur semblait familières, peu à peu les chants d’oiseaux se turent et les plantes devinrent étranges. Ils avançaient en file indienne, silencieusement.
Atana en tête suivie comme son ombre par Ikys, puis Clunk et Phoros.
Les notes résonnaient dans la forêt, des tons graves entrecoupés de vifs petits sons aigus. La mélodie lui était inconnue.
Un cercle de champignons aux couleurs vives attira leur attention, Clunk sorti un couteau avec l’intention manifeste d’en cueillir un, Atana s’avança pour retenir son geste. Elle lui intima de ranger son couteau et de rester silencieux.
Ils progressèrent en direction de la mélodie, Phoros malgré sa ténacité montrait des signes évidents de difficulté à marcher.
Deux grands arbres gris et noueux se détachèrent du reste de la végétation, Atana se figea, elle revint sur ses pas et leur parla à voix basse.
“Tout ça ne me dit rien de bon, j’ai déjà vu cette essence d’arbre, des Cèdres d’ocre, on en trouve auprès de certains temples. Restez ici, je vais voir ce qu’il en est. Ne faîtes pas de bruit et soyez prêts à repartir rapidement.”
La Salamandre ajusta sa tenue, sa cape forestière aurait toute son utilité ici. Elle laissa ses compagnons derrière elle et prit soin de ne pas passer entre les deux arbres, le sol commença à s’incliner et bien qu’il soit difficile d’avoir une vue d’ensemble du lieu, la Salamandre comprit qu’elle se trouvait au pied d’un immense tertre.
Un craquement la fit sursauter, elle saisit sa dague.
C’était Ikys, incorrigible gamine, qui l’avait suivie.
“Je t’ai pourtant dit de rester là-bas”
La petite Souris ne répondit même pas et se contenta de faire sa mimique de petite fille qui n’aime pas être grondée.
La mélodie était de plus en en plus forte. Jouant des pieds et des mains elles atteignirent le replat de la petite colline. Atana se mit à ramper, imitée par la souris, et usant de son art du camouflage se posta de façon à pouvoir observer le sommet du relief.
Sur la crête il n’y avait aucune végétation. A sa grande surprise le sommet n’était pas plat mais formait une vaste cuvette au creux de laquelle se trouvait un petit bâtiment en pierre. Ce dernier était d’allure modeste, une seule ouverture était visible, une porte en bois ouvragée devant laquelle étaient disposés deux braseros, éteints. Sur le linteau de la porte, un symbole était gravé : une flèche à trois chevrons.
Ikys ne put se retenir : “C’est le symbole que j’ai vu dans mon rêve !
– Chuuut. C’est le symbole de Panug. C’est un dieu de la chasse et des bois sombres. Pas étonnant qu’il soit représenté ici.”
La musique s’arrêta.
Ce silence soudain les terrifia.
Plaquées au sol, elles observaient le temple.
Après de longues minutes à rester immobiles, la petite Souris bougea son bras très lentement pour attraper la manche de l’Elfe, et de son minuscule doigt tremblotant elle lui indiqua un endroit sur la crête à leur droite.
Là, dans l’ombre du sous-bois, deux yeux brillants les fixaient.
Atana était tétanisée, puis finit par reprendre le contrôle de ses nerfs et réussit à se laisser glisser en arrière.
Elle agrippa Ikys et la fit glisser lentement vers elle.
Sans dire un mot, elles prirent la fuite en direction de leurs compagnons.
Clunk et Phoros ne demandèrent pas d’explications détaillées quand ils virent arriver blêmes et hors d’haleine les deux éclaireuses et se remirent immédiatement en marche.
“C’est un temple de Panug, et son gardien n’a pas envie d’être dérangé”
“Et la Boîte ?” se hasarda Phoros.
Atana secoua négativement la tête.
***
Ils marchèrent à travers les bois toute la matinée, Clunk usa de son astrolabe pour les guider et procéder à quelques corrections d’itinéraire, mais invariablement ils avançaient vers le nord. La végétation était à nouveau familière, pins, cades et bruyères.
La pluie tomba à nouveau.
Vers midi, ils débouchèrent sur une clairière, une grande dalle en grès gris en occupait le centre, recouverte partiellement de mousse et de branchages.
Ikys s’agita : “J’ai vu cet endroit dans mon rêve, il y avait une grosse boîte noire au centre, et des galeries en dessous”
Atana se retourna vers le Graille : “Qu’en pensez-vous Maître Clunk ?
– La Petite a p’être raison, la Boîte est dans le bois-proche.”
Il rangea son instrument d’orientation astronomique, posa son sac à dos et aida son vieil ami qui grimaçait à s’installer au sol.
Atana : “Très bien, faisons une pause. On en profitera pour explorer les environs.
Clunk : Bon temps pour la bectance, mais à part l’gland de la forêt, ça va être Mosse-maigre.
Phoros frottait la mousse au sol pour voir ce qui il y avait en dessous : Tu as une idée, Atana, de la nature de cet endroit ?”
Elle prit le temps d’observer.
“C’est probablement un ancien lieu cérémoniel, lié au temple de Panug, son symbole est encore visible au centre. Mais cela fait longtemps qu’il n’a pas servi. Ikys a raison, il y a probablement des souterrains… et des sépultures aux alentours. Il ne faudra pas passer la nuit ici.”
Phoros farfouilla dans les sacs de ses compagnons : “Je vais essayer de nous préparer quelque chose à manger, vous devriez fouiller les environs.”
Ils se séparèrent, chacun s’orienta dans une direction, laissant le Vieux cèdre près de la dalle et se promettant de revenir dans une demi-heure tout au plus.
“Un demi-heure, pas plus, hein ?” Phoros paraissait fébrile après ses mésaventures de la veille.
Les soleils réussirent à percer entre les nuages et la pluie ne tomba plus.
Atana se sentit légère de pouvoir se promener dans les bois, sans ses compagnons et sans danger immédiat.
Quand bien même nous trouverions une Boîte andrope il faudrait pouvoir regagner le Sanctuaire d’ici demain, au moins vingt-cinq lieues à parcourir en pleine forêt.
Un léger gazouillis lui fit lever la tête, un couple de Geais blancs alertait leurs congénères de l’intrusion d’une humanoïde dans leur espace vital.
Vous pouvez veiller sur vos petits, je ne vais pas grimper à l’arbre pour venir vous les voler.
Encore une chance pour eux que ce n’était pas Clunk qui les avait trouvés.
Alors qu’elle cherchait à voir si le nid était plein elle remarqua que certaines feuilles alentours étaient roussies, ainsi que plusieurs branches cassées.
Elle calcula l’hypothétique trajectoire d’un objet tombé du ciel en fonction des marques laissés dans le feuillage, puis franchissant une haie de broussailles elle découvrit un petit cratère d’environ deux mètres de large.
Au centre, une Boîte l’attendait.
Curieusement elle ne fut pas surprise, ni même excitée. Elle avait l’intime conviction qu’ils finiraient par trouver une Boîte. Était-ce par ce que les Moines dégageaient, par leur don de divination, une sereine assurance quant à la réussite de cette mission ?
Étrange sensation qu’elle n’arrivait pas à comprendre.
Mais peu importait, elle saisit délicatement l’étrange artefact et s’empressa de rejoindre ses compagnons.
Alors qu’elle n’était qu’à une dizaine de mètres de l’endroit où elle avait laissé Phoros, une créature ailée la survola, puis elle entendit le fort battement d’ailes d’un grand oiseau qui se posait sur la dalle.
Elle entendit des bribes de conversations.
Ce n’était pas du langage commun :
– Jeg vot ikke hvar de andria er
– Suk y omraandet rundt !
Elle ne comprenait que partiellement ce qui venait d’être dit.
Ils savent que nous sommes plusieurs et ils nous cherchent.
Elle dégaina sa dague et avança d’arbre en arbre jusqu’à avoir une vue dégagée sur la clairière.
Quatre individus cernaient le Vieux cyb toujours allongé au sol, son épée jetée à quelques mètres de là. Deux Griffons – des Hommes oiseaux – armés de lances discutaient avec intensité, une Femme pieuvre en tenue militaire mais sans insigne était accroupie au niveau du Chien, l’air narquois. Un Nain korb finissait de vider au sol, sans ménagement, le contenu de leurs sacs de voyage. Enfin, deux grands oiseaux de selle, des Pélis, observaient placidement la scène.
Le Nain vociféra : “Det ar enganting !”
A cette phrase la Femme pieuvre assena une gifle à Phoros.
“Il n’y a rien dans vos bagages, où sont tes compagnons ? Hvar er Eske ? La Boîte !”
Les idées s’enchaînaient dans l’esprit d’Atana : Ils viennent d’Hadman.
Même si la Kroctone a pris soin de retirer ses insignes elle reconnaît la coupe de l’uniforme, les deux Griffons sont des anciens de la Garde républicaine, leur lances et pièces d’armures sont typiques. Leur méthode et leur langue ne viennent que confirmer ces observations.
Comment nous ont-ils retrouvés ?
Elle les aurait vu s’ils les avaient suivis.
Et pourquoi voudraient-ils une nouvelle Boîte ?
Elle était maintenant certaine que les commanditaires de l’attaque de Trénise venaient d’Hadman.
Ils ne manquent pourtant pas de Boîtes andropes, ni de connaissances à ce sujet.
Ils ne veulent pas plus de Boîtes, ils veulent que les Moines n’en obtiennent pas une !
Elle scruta la lisière de la clairière, mais nulle trace d’Ikys ou du Graille.
Phoros encaissa à nouveau une gifle et un coup de hampe ferrée dans l’estomac. Il toussa et cracha du sang.
Il ne va pas tenir.
La Kroctone appela les trois autres vers elle. Ils tinrent un conciliabule à voix basse dont elle n’entendit rien.
Le regard vide, accoudé au sol, le Chien finit par distinguer Atana. D’un geste las il lui faisait signe de partir.
Je ne t’apprécie pas beaucoup Vieux chien mais il hors de question que je t’abandonne ici.
Les agresseurs avaient fini de discuter, ils revinrent vers Phoros l’air décidé et la Femme pieuvre dégaina son épée courte.
Ils vont le tuer !
D’un bond, Atana sortit de l’ombre et s’avança vers eux, brandissant la Boîte : “J’ai ce que vous cherchez !”
Le visage surpris de la Pieuvre laissa place à une expression de satisfaction. Ses tentacules faciales frétillaient : “Notre vieille amie !”
“J’aurais parié sur toi, tu as été à bonne école, l’université de Mir ne forme que l’élite. Pose ta dague au sol et donne-moi Eske”.
La Salamandre s’exécuta lentement, elle posa sa dague et laissa la Pieuvre prendre l’artefact. La Kroctone poussa au loin l’arme avec son pied, elle observa la Boîte Andrope avec délectation puis frappa d’un revers de main le visage d’Atana.
“Forrader ! Après tout ce que nous avons fait pour toi, voilà comment tu nous remercies.”
Atana ne répondit pas, elle aurait eu trop à dire. Elle ne lui fit pas ce plaisir.
La Pieuvre envoya la Boîte au Nain Korb qui s’empressa d’aller l’enfouir dans une sacoche accrochée au flanc d’un des Pélis, puis elle intima à Atana d’aller s’asseoir à côté du vieux Chien.
Alors qu’elle s’accroupissait, Atana aperçut le museau de la petite Souris qui pointait au beau milieu de la dalle.
Elle a réussi à emprunter un des tunnels cachés, il faut que je gagne du temps.
“Comment avez réussi à nous retrouver ?”
La Kroctone fut dédaigneuse : “Qu’est-ce que ça peut faire maintenant ? On a nos petits secrets, tu ne les connais pas tous.
– Je sais où se trouve une autre Boîte, si vous me laissez partir je vous dirais où elle se trouve.”
La soldate s’assura auprès du Nain que la boite était bien dans la sacoche, puis elle fit signe à ses hommes qu’il était temps d’en finir.
Ils s’approchèrent d’un air lugubre.
“Er du san redd for o dea ? As-tu si peur de mourir ?
– Elle est proche d’ici, dans un temple.
– Il n’y a qu’une Boîte ici, et nous l’avons.”
Ses tentacules cessèrent de s’agiter et une encre noire emplit ses yeux.
Un cliquetis se fit entendre derrière eux.
“Si vous la voulez il va falloir m’attraper !”
Ikys faisait tourner la Boîte entre ses doigts, elle nargua les Hadmaniens avant de plonger dans une petite ouverture au centre de la dalle.
La Kroctone éructa : “Maudit rat, attrapez la ! Forbanna rotte, fong hanne !”
L’un des Griffons s’envola. La Pieuvre, dague à la main, resta près ses prisonniers. Le Nain et le second Griffon se précipitèrent à la suite de la Mismice, mais ils ne réussirent pas à s’introduire dans le conduit.
“Tu la vois ?
– Nee !”
Le Griffon dans les airs volait en cercles courts au-dessus de la dalle.
“Par ici !” émergeant à un bord de la plateforme la Souris les narguait.
Ils se précipitèrent vers elle.
Le Griffon dans le ciel cria quelque chose : “Graille er der !”
La Pieuvre comprit alors ce qu’il se passait : “Attention, il a dû disposer des pièges !”
Trop tard.
L’homme ailé et le Nain korb qui se précipitaient vers la souris furent soulevés en l’air par une puissante explosion.
Phoros profita de la confusion pour saisir une petite lame cachée dans sa botte et la planta dans le mollet de la Femme pieuvre. Ses tentacules faciales se raidirent.
Atana bondit et d’un coup de pied circulaire frappa la tête de la Kroctone qui bascula sur le côté, ses tentacules relâchant un épais filet de bave. Sans perdre une seconde elle détacha sa ceinture et se mit à la faire tournoyer au-dessus de sa tête, les bolas émirent un léger sifflement.
Le second Griffon fut secoué par le souffle de la déflagration, il reprit la stabilité de son vol mais fut frappé et enlacé par les bolas de l’Elfe. La tête et une aile coincée par la corde, il battit de son aile libre pour se maintenir en l’air avant d’aller piteusement s’écraser dans les bois.
Clunk et Ikys jaillirent de la foret.
Elle ne fut jamais aussi contente de voir le Gobelin graille, ils aidèrent Phoros à monter sur un des Pélis tandis que la Souris rassemblait leurs affaires les plus importantes.
Ils grimpèrent sur les grands oiseaux alors que la Pieuvre commençait à se relever en se tenant la jambe.
Atana : “Il ne faut pas traîner ici”
Ikys – Neuvième jour – Guar
Ikys aurait eu du mal à se repérer au sein du Sanctuaire des moines, bien qu’elle ait vu l’ensemble des bâtiments lors de leur arrivée sur le dos des oiseaux Pélis, elle était parfaitement incapable de s’y retrouver, et encore moins de savoir où elle se trouvait actuellement.
Au dernier étage du complexe, sous un grand dôme, ils avaient été convoqués par les frères Sagustes pour ce qui semblait être un échange de la plus haute importance.
Phoros était recouvert de pansements et de bandages. Pour ces soins il avait dû être rasé à divers endroits de son corps noueux et cela lui avait fortement déplu. Ikys avait discrètement assisté à la scène non sans un certain plaisir.
Vieux chien qui grogne.
Au centre de la salle circulaire, la Boîte andrope trônait sur une table haute en direction de laquelle était orientés de nombreux instruments de cuivre et de bronze. Elle avait observé attentivement ces étranges machines, certaines étaient disposées en fonction des astres et pointaient à travers les ouvertures du dôme. Elle se risqua à quelques questions auprès des Moines. Ils lui expliquèrent que cela avait un lien avec l’alignement de plusieurs lunes, mais même si elle avait acquis quelques notions, l’ensemble lui paraissait complètement cryptique.
Clunk lui aussi avait porté son attention sur tout cet appareillage.
Un moine aveugle, un Korb taurin, récompensa sa curiosité en lui donnant une petite boite en ivoire qui contenait une puissante loupe et de fins instruments de mesure. Le Graille semblait ravi.
Atana, vêtue d’une tenue de cérémonie rouge, se tenait près d’Ikys. Le magnifique visage de l’Elfe ne laissait paraître aucune trace de fatigue malgré les péripéties des derniers jours.
Les frères Sagustes prirent la parole :
“Mes amis, nous sommes très heureux de vous recevoir au sein de notre Sanctuaire.
– Et nous tenons à vous féliciter pour la ténacité dont vous avez fait preuve.
– Et pour la réussite de votre mission !
– Nous avons été profondément meurtris d’apprendre la disparition de notre amie Toresse.
– Et à la demande d’Atana, nous allons fournir tout le matériel et le soutien nécessaire pour monter une expédition de recherche.
Atana : Je vous remercie, je partirai dès la fin de cette réunion.”
Ikys fut surprise de cette nouvelle, Atana ne lui avait rien dit.
“Je veux en être !”
Atana posa une main rassurante sur son épaule.
Phoros intervint : “Tu iras à condition de remettre la simili émeraude à sa place.
Ikys : C’est déjà fait ! Je l’ai fait ce matin.”
Phoros chercha du regard une confirmation auprès de l’Elfe salamandre, celle-ci se contenta de hausser les épaules.
Ikys s’accrocha à la grande cape d’Atana, et s’adressa à elle à voix basse : “Je pourrais venir ?
La Salanonaire eu un sourire réconfortant : “Si tu le souhaites, tu viendras.”
Les Moines poursuivirent : “Nous vous devons quelques explications.
– Nous savions que l’obtention d’une Boîte andrope serait une tâche ardue.
– C’est pourquoi nous avons fait appel à vous.
– Et vous nous avez donné raison.
– Mais nous ne savions pas qui s’opposerait à cette acquisition.
– Ni comment !
– Nous avons maintenant une vision plus claire.
Phoros grommela : Voilà un sujet qui m’intéresse, j’aurai deux mots à leur dire.
1er frère : Tout porte à croire que les commanditaires viennent de la République d’Hadman.
2e frère : Et plus précisément du doyen de l’université de Mir, Orbian Altman.
– D’après ce que vous nous avez rapporté ce serait d’anciens membres de la Garde républicaine d’Hadman qui ont exécuté les basses offices, ainsi que des membres de la Guilde des voleurs.
– C’est le recours aux services des Soeurs silence qui nous a mis aussi sur cette piste. Nous savions depuis longtemps que Hadman faisait appel secrètement à cette organisation pour obtenir d’anciennes Boîtes.
– Tout porte à croire que le Doyen ne veut pas que nous apprenions certaines choses à propos de leur recherche.
Antonin, le moine taurin, prit la parole : Ils ont peur de ce que nous pourrions voir lors de l’Alignement de Ch’ta.
Phoros : Qu’auraient-ils à cacher ?
Antonin : Tout le monde à des choses à cacher. Pour l’instant nous ne pouvons nous perdre qu’en conjectures. Il va nous falloir encore un peu de patience, nous en saurons plus ce soir.
Atana : Je connais Orbian, lors de mes études à Mir ce fut l’un de mes professeurs. Hadman s’intéresse depuis longtemps aux technologies Andropes. Je…
La Salamandre marqua une pause, Ikys s’inquiéta de ressentir un grand trouble en elle, une souffrance.
Atana reprit : “Malheureusement, je ne garde que des bribes de souvenirs de cette époque. Je me suis intéressée de trop près à leurs travaux.
Mais vos soupçons semblent fondés, Altman est un homme mauvais et il est prêt à tout pour garder le contrôle.”
Un moine interrompit leur discussion en faisant irruption dans la salle. Il les salua respectueusement et se dirigea vers le Moine Antonin à qui il susurra quelques mots à l’oreille avant de repartir dans le plus grand silence.
Ikys ne lâcha pas des yeux l’importun, il avait exactement le même visage que l’homme sur la barque à qui fut remis la Boîte andrope à Trénise. Une espèce qu’elle n’avait jamais vu jusque-là.
Se pourrait-il que ce soit la même personne ? Les Moines travailleraient de concert avec les Sœurs silence ? Ça n’a aucun sens.
Antonin l’apostropha : “C’est un Jais, jeune souris. Nul besoin de le dévisager de la sorte, ce n’est pas l’homme que tu as vu à la Principauté. Frère Slane travaille pour nous depuis des années. Les Jais sont peu communs, mais comme pour tous les peuples de Settak, certains œuvrent pour le bien, et d’autres ont fait des choix plus faciles.”
La Mismice se sentit percée à nue.
Comment a-t-il pu voir ce que je pensais ? Il est aveugle !
La Souris, décontenancée, se força à regarder ses pieds, elle qui avait pour habitude de scruter chaque détail.
Est ce qu’il entend ce que je pense ? Mais il va savoir alors pour l’émeraude ! Il faut que j’arrête de penser.
Elle se retint de le regarder à nouveau.
Mais comment je peux arrêter de penser !
Alors que le cerveau de la Mismice était proche de l’ébullition, le Moine Antonin reprit la parole :
“Avant de décider de la suite de nos actions, je vous dois des explications mais aussi des excuses.
Juste votre avant départ j’ai eu une vision à propos de votre voyage, j’ai hésité à en vous parler, et préoccupé par d’autres impératifs j’ai pris la liberté d’en parler rapidement aux frères Sagustes qui ont évoqué avec vous cette information.
C’était une erreur.
Je n’aurais rien du dire, la vision était trop parcellaire, et d’après vos récits je pense que cela a plus contribué à vous rendre confus qu’à vous aider dans vos recherches.
Clunk s’anima en agitant les bras : La Faille, c’est d’ça que vous causez ? On a cherché, à retourner tous les fonds de gobelets mais ma vieille caboche a fini par percer. C’est un truc de Moine ! Il n’y a pas de Faille, la Faille est nous. Et si nous mirons blanche d’lumière alors rien ne peut nous arriver ! Je sais pas de quel Settak-dieu au juste, vous priez-suivre lequel déjà ? Mais c’est faille-mystère. J’ai juste ? ”
Cette intervention laissa l’assemblée sans voix.
Antonin prit sur lui pour garder son calme : Pas du tout Maître Clunk, la Faille divinatoire est bien réelle, elle a servi à nos ennemis durant tout votre périple à vous localiser. Et pour votre information, nous ne prions aucun dieu en particulier.
Les épaules de Clunk retombèrent : Vérité-sûre ?
Antonin : Et elle est toujours ici, dans cette pièce.”
Cette dernière phrase fit entrer en éruption les quatre compagnons.
Ikys : “Mais ils vont nous retrouver !”
Phoros : “Je te l’avais dit vieille rouille, c’est ton maudit casque !”
Atana : “Mais qu’est-ce que c’est au juste ?
Clunk dégaina son marteau : “Donnez-la moi, je fracasse bas !”
1er frère : “Nos adversaires savent que nous sommes là, mademoiselle Ikys, pas d’inquiétude.
2e frère : Nous sommes hors d’atteinte ici.
Antonin : La Faille divinatoire sont les saphirs blancs qui se trouvent incrustés dans le pommeau de l’épée que Maître Phoros porte à sa ceinture. Si j’avais été là lors de votre départ je l’aurais vu immédiatement.”
Tous les regards se tournèrent vers le Vieux cyb.
Phoros : “Quoi ? Mais j’ai cette épée depuis des années, elle m’a été remise à mon départ de la Garde !”
1er frère : Nulle malice ici de la part de vos anciens compagnons, ce sont des pierres rares mais sommes toutes assez classique.
2e frère : Cependant Orbian Altman a trouvé un moyen de pouvoir les localiser à distance.
1er frère : Ce qui explique pourquoi ses amis ne vous ont pas laissé de répit.
2e frère : Et une bonne partie des difficultés que vous avez pu rencontrer.”
Et dire que j’ai failli lui en voler une quand il dormait dans la charrette… J’ai bien fait de m’abstenir.
Le Vieux chêne dégaina son épée pour l’observer en détail, aussitôt rejoint par le Gobelin. Un regroupement qui tourna assez vite à la chamaillerie.
“Tu n’es qu’un rejeton de Plop de basse cuve !”
Atana s’adressa à Ikys : “Peu importe maintenant. Nous avons accompli notre mission, regroupe tes affaires nous partons pour l’Oustrosaurie.”
La Souris acquiesça, même si cette nouvelle aventure serait probablement marquée par le deuil elle était ravie de ne pas avoir à argumenter pour faire partie du voyage.
Elle se sentait enfin acceptée.
Le Graille et le Cyb tiraient et poussaient pour arracher l’épée des mains de l’autre.
Antonin tonna de sa voix sourde : “Donnez-moi cette épée, vous n’allez tout de même pas vous battre pour si peu !
1er frère : Maître Clunk, Maître Phoros. Du calme !
2e frère : Nous allons encore avoir besoin de vos services !”
Alors que plus personne ne lui prêtait attention, sur la table haute, la Boîte commençait à pulser d’une lumière d’un bleu profond.
FIN
Lagrue Laurent